Les principales propositions relatives à la révision de la loi fondamentale, formulées par la « cuisine constitutionnelle » installée au siège du FLN à Hydra, sont enfin connues. La plus importante est la suppression de la limitation des mandats présidentiels. C'est, en effet, ce qu'a révélé Abdelaziz Belkhadem, à l'ouverture de la session extraordinaire de l'instance exécutive de son parti, tenue jeudi à l'hôtel le Mouflon d'or, à Alger. Dans ce cas de figure, c'est l'article 74 de la Constitution de novembre 1996 qui fera l'objet d'une modification. Suivant cette disposition, le mandat présidentiel actuel est de cinq ans et le président de la République n'est rééligible qu'une seule fois. Et si cette proposition, qui obéit beaucoup plus à des considérations politiques, venait à être entérinée, ce n'est pas uniquement le calendrier électoral qui en subira les contrecoups, mais c'est toute la civilité des mœurs politiques qui sera sérieusement entamée. L'alternance au pouvoir, qui est l'un des principes fondamentaux de l'exercice démocratique, sera, à coup sûr, remise en cause. De ce point de vue, l'Algérie sera en net recul par rapport même à la Constitution de 1989 qui, faut-il le rappeler, avait mis fin à la rééligibilité indéfinie des chefs d'Etat. A l'époque, on s'en souvient, cette disposition avait été perçue comme un progrès politique substantiel. Aujourd'hui, c'est-à-dire dix-sept ans plus tard, l'ancien parti unique veut réinstaurer un système politique longtemps révolu. Le FLN, qui manifeste un attachement doctrinaire à ce projet, ne cherche pas uniquement à donner, sinon une présidence à vie, du moins un troisième mandat à Bouteflika, mais également à remettre en selle son parti à qui échoira logiquement la vice-présidence de la République. Un tel scénario, selon les observateurs, serait un saut dans l'inconnu et l'Algérie risque d'enterrer de précieux acquis démocratiques arrachés de hautes luttes et de sacrifices. En faisant de telles lectures, on ne reproche pas forcément à la formation de Belkhadem d'avoir émis une proposition de quelque nature qu'elle soit. Cependant, on pourrait lui reprocher d'avoir monopolisé le débat sur une question aussi importante que délicate. D'abord, parce que tout projet de révision constitutionnelle doit faire l'objet d'un débat public et national. Ensuite, parce que toute modification de la loi fondamentale doit être l'œuvre de spécialistes en droit constitutionnel afin de veiller au respect du constitutionalisme démocratique. Pour mieux cerner les propositions du FLN, faisons une analyse constitutionnelle comparée. L'absence, dans les Constitutions de certains Etats (en Afrique surtout), d'une clause limitant les mandats, a fait le lit des présidences interminables. Ces dernières - cela va de soit - sont synonymes d'une dangereuse dérive despotique, d'autant plus que la longévité à la tête de l'Etat est souvent sclérosante. Les spécialistes des questions politiques estiment, à juste titre, qu'un dirigeant qui reste longtemps au pouvoir, même par la voie des urnes, n'est pas trop loin de l'absolutisme. L'histoire politique récente de certains Etats africains montre, si besoin est, les effets pervers d'une telle tentation. En Afrique, on ne change pas la Constitution pour qu'elle s'adapte à l'évolution de la société, mais souvent pour renforcer les pouvoirs du dirigeant ou pour lui permettre de régner à vie. Rappelons le cas de Hafedh El Assad qui avait « trituré » la Constitution de la Syrie pour se maintenir au pouvoir. Cette « découverte » avait, il faut le dire, inspiré plus d'un chefs d'Etat. Ould Taya en Mauritanie, Lansana Conté en Guinée, Omar Bongo au Gabon, Gnassingbé Eyadéma au Togo, Hosni Moubarak en Egypte, Maâmar Kadhafi en Libye, Zine El Abidine Ben Ali en Tunisie, Idriss Deby au Tchad... tous ont profité d'une révision constitutionnelle pour conserver le pouvoir quitte à consacrer une sorte de « césarisme présidentiel ». En citant ces exemples, on est loin d'assimiler l'Afrique à « un cimetière de la démocratie ». Il y a dans ce continent de grands hommes qui ont su abandonner le pouvoir avant que celui-ci ne les quitte. Nelson Mandela en Afrique du Sud et Alfa Omar Konaré au Mali... Liamine Zeroual en Algérie en font partie. Le pouvoir est une drogue, c'est une vérité. Le pouvoir est aveugle, c'est une autre vérité. Mais le renoncement au pouvoir pour consacrer l'alternance démocratique est un acte digne et noble. A méditer...