A l'approche de l'expiration de son contrat de 5 ans et demi pour la gestion déléguée de l'eau à Constantine, la Marseillaise des eaux (SEM) mène une opération de charme envers le gouvernement dans l'espoir de décrocher une prolongation de ce contrat. Pour comprendre les enjeux actuels, retour succinct sur la genèse de la nouvelle politique de l'eau. Au milieu des années 2000 et suite à une montée sans précédent des manifestations populaires contre les pénuries d'eau potable, l'Etat a engagé des réformes profondes du secteur consacrée par la promulgation de la loi 05/12 relative à l'eau. Dans ce cadre, des groupes européens ont été engagés pour assurer la gestion déléguée de l'alimentation en eau dans les quatre grandes villes d'Algérie, à savoir Alger, Oran, Constantine et Annaba. A Constantine, la société des eaux de Marseille a décroché d'abord un contrat de 6,1 milliards de dinars pour la réhabilitation du réseau d'AEP sur trois ans, et à partir de 2008 elle s'est associée à l'Algérienne des eaux (ADE) pour créer la Société de l'eau et de l'assainissement de Constantine (Seaco). Les termes du contrat assignent au contractant l'objectif de «modernisation et l'efficience de la gestion des services publics de l'eau et de l'assainissement, la mise en place et le déploiement d'outils modernes de gestion, la mise en place d'un système de distribution d'eau en H24, et d'assurer le transfert d'un savoir-faire effectif ainsi qu'un transfert de technologies et de compétences». Concrètement, la nouvelle entité avait pour missions : la recherche et réduction des fuites dans les systèmes d'adduction et de distribution, l'élaboration d'une cartographie détaillée des réseaux et installations, la mise à jour du fichier des abonnés, la suppression de la facturation forfaitaire et la généralisation du comptage individuel, et enfin la formation du personnel algérien. Bilan négatif Que nous sommes loin aujourd'hui de ces engagements ! Lors de sa conférence du 9 janvier dernier, le Pdg français, Michel Vallin, avait même annoncé, sans sourciller, la construction prochaine du centre de formation aux métiers de l'eau ! Avant ou après avril 2014 ? L'annonce a dépassé la date de péremption si l'on se fie aux délais prévus sur le contrat. Au plan de la formation et du transfert de technologie, considéré par les Algériens comme l'objectif principal de l'investissement, la SEM a failli et espère se rattraper en jouant les prolongations. D'ailleurs, selon M.Vallin, des responsables français auraient engagé des discussions avec Alger afin de convaincre le gouvernement de céder au désir de la SEM. En tout cas, et au regard du bilan négatif critiqué à maintes reprises par les autorités, et compte tenu de la souffrance de la population constantinoise face au quotidien des fuites endémiques et de la chaussée défoncée, la tentative française est pour le moins osée.En effet, il n'existe pas un seul quartier qui demeure à l'abri des fuites. Partout l'eau coule sur la chaussé et les trottoirs et remplit des nids-de-poule, qui se transforment sous l'effet de l'eau en trous béants que personnes ne vient réparer. Même les grands boulevards et les axes névralgiques du centre-ville n'échappent pas à cette fatalité. A Sidi Mabrouk, Boussouf ou à Zouaghi, la situation est partout la même. Les quartiers traditionnellement ignorés par l'ensemble des services, comme El Gammas, cohabitent désespérément avec ces fuites. Les dégâts occasionnés sur la chaussée sont incommensurables ; le taux de déperdition de l'eau demeure quant à lui inouï. 25% selon les résultats d'un audit révélés par le wali de Constantine en février 2012, 40 à 50% selon une déclaration récente faite à El Watan par Hugues Monorie, directeur d'exploitation eaux et travaux de la Seaco. Des chiffres bien loin des objectifs inscrits dans le contrat et pour lesquels l'Algérie a payé une coquette somme. Les abonnés n'ont pas cessé aussi de se plaindre de la qualité du service. Les intervenants souffrent d'un déficit patent d'efficacité et de savoir-faire. Des canalisations réparées reviennent vite à couler. Un phénomène récurrent. «La SEM n'a rien apporté de plus. Au contraire, elle a détruit les points positifs hérités de l'ADE, en remplaçant des cadres performants par de nouveaux sans expérience. En plus, j'ai des doutes sur la qualification des gens ramenés de France», affirme un cadre de la Seaco qui a requis l'anonymat de peur de représailles. Notre interlocuteur peint un tableau peu reluisant des performances de la SEM : «Les créances ont doublé faute de recouvrement, les factures sont toujours contestées par les abonnés, sans parler des dépenses excessives pour la location de véhicules». Critiques en cascade En fait, la performance de la SEM est remise en question sur l'ensemble des termes du contrat ou presque. Début 2010, le conseil d'administration de la Société des eaux et de l'assainissement (ADE) de Constantine accuse la SEM d'avoir gravement porté préjudice aux intérêts algériens et lui adresse deux mises en demeure successives. Dans la deuxième, datée du 1er février, il est demandé au groupe français d'honorer ses engagements dans un délai de deux mois. Faute de quoi, le contrat qui lie les deux partenaires sera résilié. La manœuvre du conseil d'administration fait mouche. Pourtant, ce même conseil n'a pas toujours été à la hauteur de sa mission de contrôle pour cause d'instabilité (quatre présidents consommés en cinq ans) ; une instabilité qui ne manquera pas d'arrondir les angles du conseil. Le temps passe mais la situation ne s'améliore pas. La contre-performance devient l'affaire de l'Etat. Une commission ministérielle est alors dépêchée à Constantine par le département des ressources en eau pour évaluer le travail effectué par la Société des eaux de Marseille. Le DHW regrette qu'en dépit des «moyens colossaux mis à la disposition de la SEM, des quantités industrielles d'eau traitées continuent à être gaspillées et déversées dans les oueds.» Les critiques se multiplient. Le wali et le maire de Constantine chargent la Seaco pour son impuissance à juguler les fuites et à répondre aux attentes des citoyens. En visite à Constantine, en février 2012, Abdelmalek Sellal, à l'époque ministre des Ressources en eau, rejette lui aussi les justifications avancées par Michel Vallin pour expliquer les retards et rappelle à la SEM ses engagements. «Si l'Algérienne des eaux avait eu les mêmes moyens que la SEM, elle aurait fait des résultats meilleurs», souligne notre source à la Seaco. Si la logique est respectée, le contrat avec la SEM devra connaître la même fin que celui conclu avec la société espagnole Agbar, qui n'a pu bénéficier d'une prolongation du contrat à Oran. Au mieux, la SEM pourra décrocher un emploi pour l'assistance technique. Pour à peu près les mêmes contre-performances, les Allemands de Gelsen-wasser ont vu leur contrat à Annaba résilié avant terme. Rappelons-nous que la SEM a décroché le contrat en consultation (très) restreinte. Un privilège dont le gouvernement n'a pas tardé à se rendre compte qu'il n'était pas mérité. Va-t-il alors commettre la même erreur ?