La tension monte aux confins de Syrte avec un stationnement de troupes opposées, au bord de Oued Lahmar, frontière historique de la Cyrénaïque. Tunis De notre correspondant Sont là, d'une part, les troupes «officielles» de la faction du Centre de Doraâ Libya (Bouclier de la Libye). De l'autre, les forces de l'Est, réunies autour des milices de Brahim Hadhrane, bras armé du district scissionniste de Barqa. Même schéma antagonique à Tripoli avec, d'une part, les milices Kaâkaâ, proches de la tribu de Zentane et opposées au président du Conseil national général, Nouri Bousahmine, qui sont stationnées sur la route de l'aéroport. A l'autre bout de la ville, il y a les troupes du Conseil militaire de Tripoli autour de la base aérienne de Myitigua, chargées par Bousahmine de défendre la ville. Ces deux scènes traduisent la lutte d'influence que se livrent les deux factions rivales que sont le clan libéral dirigé par l'Alliance des forces nationales et Mahmoud Jibril, contre celui, islamiste, du parti de la Justice et du développement et des Frères musulmans. La rivalité se traduit sur le terrain militaire par une opposition entre les milices de Zentane, appuyant Jibril, et ceux de Misrata, appuyant les Frères musulmans. Les autres forces politiques, tribus et milices, nouent des alliances en rapport avec l'axe de cette bipolarisation. Sur le terrain, Hadhrane est parvenu à fédérer l'Est autour de lui, lorsque les troupes de Misrata (Bouclier de la Libye) se sont avancées vers Syrte et approchées de Oued Lahmar, frontière historique de la Cyrénaïque. Ainsi, les forces des tribus de Zouiya et des Mgharba, installées à Ajdabia, ont tourné la page de leurs différends avec Hadhrane concernant l'exportation du pétrole et se sont rangées à ses côtés contre la mainmise de Misrata sur le pouvoir et les richesses. Certaines milices sont même venues de Beni Oualid et Ghariane pour renforcer Hadhrane et empêcher le pouvoir de Misrata de s'étendre. Même son de cloche à Tripoli. Les milices proches de Zintane ont reçu le soutien de celles des «tonnerres» (Sawaëk) et des «civils» (madani), ne laissant au clan Misrata que l'éventuel soutien des troupes de Abdelhakim Belhaj, stationnées à la base aérienne de Myitigua à la sortie est de Tripoli. Ainsi présentée, la situation libyenne est au bord de l'explosion, en l'absence de toute veillée de pouvoir central. Flou institutionnel Ce déploiement des forces militaires sur le terrain indique que la Libye échappe de plus en plus à toute autorité institutionnelle, notamment si l'on tient compte de la portée significative du blocus imposé, depuis septembre 2013, par les milices sur les terminaux pétroliers. La ligne rouge a été par ailleurs franchie avec l'exportation d'une cargaison de pétrole à partir du port de Sedra, en dehors de l'autorité de l'Etat, et l'impuissance du pouvoir central à réagir. C'était certes le coup fatal qui a sonné le glas de Ali Zeidan, mais le nouveau gouvernement n'a pu prendre la moindre décision sur la levée du blocus sur les terminaux pétroliers. Pis encore, la contagion est passée à l'Ouest avec le blocus du gisement de Chrara par les milices locales qui ont des revendications quasivsimilaires à celles de Barqa. Cette situation de pouvoir démesuré des milices fait craindre le pire en Libye, selon les observateurs. Le politologue Mansour Younes, professeur de droit à l'université de Tripoli et ex-membre du Conseil national de transition, trouve «dangereux que ce soient les milices qui dirigent désormais les négociations sur l'avenir politique de la Libye». «Le gouvernement et le CNG n'ont plus aucun pouvoir réel et ne peuvent plus se prévaloir d'aucune légitimité», constate-t-il. La juge de Benghazi, Naïma Jibril, emboîte le pas au professeur Younes quant au risque de gabegie planant sur la Libye. «Il faut retourner le plus rapidement aux urnes et élire de nouvelles institutions représentatives», appelle-t-elle. «Mais en l'absence d'un pouvoir central disposant de légitimité consensuelle, comme ce fut le cas à la veille des élections de juillet 2011, qui peut valider la transparence des élections ?», s'interroge le politologue de l'Est, Abdelkader Kadora. «Il faut impérativement réunir un dialogue national à la tunisienne pour valider une feuille de route de transition», propose-t-il.