Suite à l'appel adressé à l'ensemble de la famille universitaire et au pays, des enseignants universitaires se sont rassemblés le jeudi 13 mars au matin, à 10 heures, au sein de l'Université Alger 2. A l'issue de cette manifestation et après avoir pris la mesure de l'inquiétude qui ronge ces intellectuels, une réunion a permis l'échange de points de vue. L'ensemble des signataires de cet appel tient à témoigner avec détermination de l'état de notre pays. Cet état des lieux repose sur l'observation d'un épuisement du système de gouvernance politique en place. Partant de l'état général de leur institution, l'Université algérienne, ces enseignants constatent qu'ils ne parviennent plus à organiser une reproduction des connaissances et des élites dans cet espace marqué par l'absence de l'autonomie des universités, des franchises universitaires, de l'achat de la paix sociale par une délivrance de diplômes qui est une course en avant. Or, cette Université ne peut être réformée seule. D'autant que seuls les enfants des catégories les plus démunies les fréquentent aujourd'hui. La reproduction des élites se réalise ailleurs, nous délégitimant chaque jour davantage. C'est ainsi que, comme l'ensemble des institutions du pays, l'Université algérienne a perdu de sa légitimité et de son efficacité. Ce constat est le produit d'un système de gouvernance qui a, précisément : vidé toutes les institutions de légitimité et d'efficacité ; dévoyé le débat politique par des manipulations qui trouvent leur incarnation ultime dans les élections aux allures grotesques du 17 Avril 2014 ; mis à bas toutes les libertés en gouvernant ce pays par la peur : peur de l'étranger, peur des appareils de répression, peur des hordes terroristes. Les invasions culturelles comme la peur ne s'installent que lorsqu'il est interdit de penser en se projetant vers l'avenir. C'est cette situation d'insécurité devenue structurelle, instrument de gouvernement, qui a permis à des individus sans légitimité politique et sans compétences de mettre la main sur les richesses de ce pays, distribuant quelques prébendes à une population transformée en clientèle. Le peuple algérien a pourtant montré une grande maturité à l'occasion des événements de 2011, convaincu que les dirigeants avaient pris acte d'un nécessaire changement. Sa maturité ne reçoit comme réponse qu'une violence matérielle, intellectuelle et symbolique. Et, aujourd'hui, le découragement, le dégoût, la honte et la colère créés par une telle situation de représentation caricaturale de l'Etat, d'appropriation privée des institutions, des biens et du fonctionnement de notre pays ne peut que le placer à la merci de n'importe quel coup de force, d'où qu'il vienne. Dans le contexte géopolitique actuel, dans l'état actuel du pays, sans programme économique, et sans réforme de fond des institutions, où toutes les manœuvres n'ont pour seul projet que le statu quo incarné par le maintien d'un même regroupement d'individus qui a largement montré son inefficacité, sa malhonnêteté dans les prétoires étrangers et nationaux, nous sommes tenus de protester : contre les conditions de mépris faites à la population algérienne et à sa jeunesse en particulier livrée à l'argent sale, au moment où l'université a perdu ses fonctions, qu'un diplôme ne permet plus de prendre l'ascenseur social et de moins en moins l'accès au savoir ; contre la gestion de notre société par la peur et la corruption, y compris par la délivrance de diplômes vidés de contenu, de moins en moins négociables sur le marché du travail national ; contre l'absence de propositions fondées sur la reconquête de notre dignité comme producteurs-trices et comme citoyens et citoyennes. Nous n'avons pas voulu rester silencieux face au danger, nous n'avons pas voulu produire d'analyse subtile mais alerter nos collègues, les étudiants et futurs enseignants chercheurs et l'opinion publique sur le danger que fait courir au pays l'insistance à fermer le jeu électoral par le chantage au chaos. Ceci, alors même que la question du quatrième mandat n'est que la résultante de l'échec du système de gouvernance que nous subissons depuis au moins quinze ans. Notre devoir, aujourd'hui, est d'avertir clairement toutes et tous des graves menaces qui guettent notre pays. Un sursaut est nécessaire, ce sursaut ne peut être que le départ du système de gouvernance en place. C'est pourquoi les universitaires prennent la parole pour réaffirmer fortement que : l'enjeu de l'heure n'est pas le nombre de mandats seulement. Une telle revendication ne peut viser qu'à changer la figure du représentant du système en place, sans remettre en cause le fonctionnement du pays Une telle revendication contribue de fait à donner l'image fausse d'un débat démocratique autour de ces élections. Ces élections sont vidées de leur contenu car elles sont le produit et non la cause de la situation vécue par les Algériens et les Algériennes à travers le territoire national. Toute proposition sérieuse devra viser à exiger un changement de système et l'avènement d'une République algérienne nouvelle respectueuse de tous et de toutes. Notre pays est riche en potentialités jeunes, matérielles et intellectuelles, nourries de l'amour de la patrie et en mesure de construire un avenir de stabilité et de développement. Nous considérons que notre position est un appel au respect dû à l'Université algérienne, à nos étudiants, au savoir, à notre pays, à notre histoire de peuple malheureux et rude à l'épreuve, et c'est pourquoi nous restons mobilisé(e)s pour le combat pour la dignité qui s'annonce et appelons l'ensemble de la communauté universitaire — enseignants, étudiants, employés administratifs — à se rassembler le mercredi 19 mars dans tous les établissements universitaires du pays.