Le politologue Mohammed Hachemaoui a animé, avant-hier, à la librairie Gibert Joseph de Barbès, à Paris, une rencontre-débat autour de son ouvrage Clientélisme et patronage dans l'Algérie contemporaine. En présence de Xavier Audrain, directeur des éditions Karthala, des historiens Emmanuel Blanchard et Anna Bozzo, ainsi que de plusieurs lecteurs, l'auteur a présenté les contours scientifiques et le contenu de son livre. Selon le concepteur des Débats d'El Watan, «il y a trois répertoires performatifs qui président à la fabrique de la politique dans l'Algérie contemporaine. Le répertoire performatif de la réinvention de la tradition, de la réinvention du makhzen passe par le tribalisme sans tribus et par la réinvention du maraboutisme. Pour les deux autres répertoires performatifs, il s'agit d'abord du clientélisme politique qui est un rapport social entre inégaux (patrons et clients) et qui est aussi un mode de distribution des ressources. Le troisième et dernier répertoire performatif est la corruption électorale». L'enseignant-chercheur à l'université Paris 8 explique que son travail n'est pas celui d'«objecteur de conscience». Il a néanmoins évoqué les difficultés pour les chercheurs de travailler sur le clientélisme politique et la corruption en Algérie. «Travailler sur le clientélisme et la corruption en Algérie n'est certainement pas la façon la plus intelligente pour se faire des amis. C'est même la meilleure façon d'avoir beaucoup d'ennemis… Surtout quand on évoque ce sujet d'un point de vue purement scientifique et non pas d'un point de vue publiciste qui, derrière les protections que lui procure tel ou tel appareil, tire à boulets rouges sur tel ou tel clan du pouvoir», a-t-il précisé. Mohammed Hachemaoui a opté pour la méthodologie de «l'ethnographie interprétative, partant du constat que les paradigmes en vogue, appliqués à l'Algérie, accusent un lourd déficit d'ethnographie et même de sociologie». Ce choix lui a permis d'éviter de généraliser des conclusions sur la vie politique algérienne, à partir de l'analyse d'une certaine élite algéroise, très minoritaire dans le pays. Lui est allé au fin fond du pays pour y travailler sur deux sites : Tébessa et Adrar. Ainsi, ce livre est issu d'un travail profondément de terrain. L'élément déclencheur de cette étude approfondie, commencée en 2002, est le retour apparent de la tradition dans la vie publique et politique en Algérie. «Depuis le début du XXIe siècle, ce retour est visible sous la forme de conflits ethniques, communautaires et tribaux. On peut citer Ghardaïa, mais aussi le cas Djelfa-Laghouat et d'autres régions du pays. D'un autre côté, il y a eu le surgissement du mouvement des archs en Kabylie, en 2001, mais surtout l'intrusion des confréries, des tribus et des notables dans la politique électorale», a constaté l'écrivain. Sur la question des élections, qui est d'actualité, il affirme qu'en Algérie «nous sommes face à des élections sans démocratie. Nous sommes face à un autoritarisme électoral. Il ne faut pas faire comme si la fraude n'existait pas», mais cette réalité n'empêche pas le fait que ces élections aient un «intérêt heuristique». «Il y a de l'intérêt scientifique à analyser ces élections sans la démocratie. Et c'est le pari que j'ai fait en saisissant donc ces élections à l'intérieur et dans le cadre du dispositif général de la reconduction du statu quo autoritaire», a-t-il encore expliqué. Cette démarche lui a permis de retracer concrètement le lien entre, d'un côté, les réseaux d'argent, parfois illicites, du trafic d'influence et des confréries, avec de l'autre côté quelques partis politiques algériens. Suite à cette rencontre, une vente-dédicace a été organisée.