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Tourisme culturel : Placer le territoire au cœur du débat
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Riche d'une histoire millénaire, d'un patrimoine matériel et immatériel reconnu, de faits culturels jugés comme de véritables merveilles et marquée par l'organisation de méga événements culturels, l'Algérie de 2014 peine à développer son tourisme culturel. A travers cette modeste contribution, j'essaie de jeter la lumière sur un des éléments de réponse.
Quelle que soit la définition retenue, la culture est toujours rattachée à un groupe social, lui-même situé par rapport à un patrimoine, à une identité, à un territoire. Ainsi, le tourisme culturel est le déplacement d'une personne d'au moins une nuitée, pas au-delà d'une année, dont la motivation principale est d'élargir ses horizons, de rechercher des connaissances et des émotions par la découverte d'un patrimoine et de son territoire.
En Algérie, nous avons de merveilleux et importants faits culturels (patrimoine matériel et immatériel ainsi que des événements culturels), nous sommes une nation avec son identité, son patrimoine, ses cultures et un vaste territoire étalé sur 48 wilayas et 1541 communes. Nous avons une appréciable demande potentielle sur le tourisme culturel, y compris de la part des Algériens résidents (voir notre contribution intitulée «Tourisme culturel : cinq questions pour saisir sa portée économique» in El Watan du 1er octobre 2011. Malgré cela, nous n'avons pas encore d'offre de tourisme culturel. Alors que les touristes potentiels accusent les professionnels du tourisme et ceux de la culture de manquer de professionnalisme, ces derniers se rejettent la balle de l'incompétence. D'autres essaient de lier cet échec à notre retard en matière d'infrastructures touristiques.
Et si le problème était ailleurs ?
Si tous les efforts des professionnels du tourisme et de la culture sont des peines perdues à cause d'au moins deux contraintes qui sont les suivantes : pour la première, chez les professionnels de la culture, on pense toujours qu'un fait culturel bien mis en évidence est une offre de tourisme culturel. Pour la seconde, chez les professionnels du tourisme, on continue d'exiger des territoires issus de découpages administratifs des résultats que ne peuvent apporter que de nouveaux territoires touristiques à imaginer et à créer.
La simple existence d'un fait culturel ne crée pas automatiquement sa demande touristique. A titre d'exemple, ce n'est pas parce que le palais de Khdaoudj El Amia existe et a subi un grand effort de restauration qu'il va drainer la foule de visiteurs. Ce n'est pas parce que Tolga possède un délicieux fruit appelé «Deglat Nour» qu'on y vient pour assister à sa cueillette et à le déguster. Ce n'est pas parce que le malouf et ses cheikhs sont à Constantine et qu'un festival annuel est dédié à ce genre artistique qu'on s'organise pour venir assister aux gaadet. Autrement dit, un fait culturel, qu'il soit issu du patrimoine matériel ou immatériel, même au prix de grands investissements pour le mettre en évidence ne débouche pas, automatiquement, sur une offre touristique. Pour devenir une offre touristique, le fait culturel doit d'être associé à une destination qui est un territoire.
Autant le tourisme culturel doit être ramené au territoire, autant il est quasi impossible de proposer un seul site ou une seule curiosité dans le cadre du tourisme culturel.On peut proposer un séjour d'une semaine dans un complexe balnéaire à Tichy du côté de Béjaïa, mais il est difficile de le faire pour l'unique visite du parc archéologique de Djemila du côté de Sétif. Cette difficulté émane d'au moins trois causes.
Premièrement, la limitation à une seule étape ne répond pas à la définition du touriste qui doit être en déplacement d'au moins une nuitée. Deuxièmement, la limitation à une ou deux étapes peut être un frein à la création de la motivation de déplacement du client potentiel.
Troisièmement, la limitation à un nombre limité de sites risque de ne pas convaincre l'offreur du site phare de l'utilité de se joindre à l'offre du tourisme culturel. C'est le cas des offreurs des sites les plus cotés auprès de la clientèle. Selon ces derniers, cela ne servirait à rien d'appartenir à un groupe d'offreurs juste pour vendre leurs propres produits alors que leurs affaires marchent bien. Autrement dit, un fait culturel a moins de chances de devenir une offre de tourisme culturel s'il est proposé en solo ou sur un espace géographique limité. L'offre de tourisme culturel est incompatible avec les limitations quantitatives et les contours géographiques.
La culture au service du tourisme
Pour pallier ces deux contraintes, il faut une véritable offre de tourisme culturel sur un territoire préparé pour le recevoir et dont les acteurs sont convaincus d'en tirer profit. Trois pistes existent. En plus de l'obligation de ramener le fait culturel à une destination, on doit penser nos démarches en passant du territoire comme étendue administrative à celui de territoire touristique. Enfin, on peut s'attendre à des résultats positifs sans l'adoption de packagings de l'offre culturelle. Pour argumenter le passage du territoire étendu administrative au territoire touristique, nous avons l'exemple suivant : si nous prenons la fête du Sbou, officiellement elle est rattachée à un territoire aux contours administratifs qu'est Timimoun. Or, sur le terrain, la fête s'étend de Timimoune à Beni Abbès, deux daïras aussi distantes l'une de l'autre que les wilayas de Jijel et de Constantine.
Donc, dans le tourisme culturel, le territoire de la fête du Sbou dépasse dans son étendue le territoire issu du découpage administratif, voire de l'intercommunalité même. Le territoire du tourisme culturel n'est pas juxtaposé au territoire du découpage administratif. N'avoir que cette conception administrative du territoire devient un frein au développement de l'offre du tourisme culturel.
En parallèle du territoire issu du découpage administratif, on doit créer des territoires adaptés au tourisme. Des territoires qui acceptent l'offre de tourisme culturel, qui l'adoptent comme locomotive de l'économie locale et qui cherchent à en tirer profit. A titre d'exemple, je peux citer un territoire qui accepte de recevoir les faits culturels suivants : le parc archéologique de Djemila, la côte de Tichy et jijelienne, le parc animalier de Taza, le musée de Koutama, le site de Aïn El Fouara de Sétif, etc.
Chez les puissances touristiques mondiales, cette adaptation du territoire touristique existe. Pour le cas de la France, le «pays» en est la formulation. Le pays est le territoire d'une offre de tourisme culturel. Chez nous, on peut l'appeler pays ou juste territoire touristique.
Le territoire touristique est une image à construire. Cette construction se fait lors de la communication de l'offre du tourisme culturel. Un des éléments importants dans la construction d'un territoire est son appellation.
Car les noms issus des découpages administratifs souvent ne disent rien, voire ne sont pas vendeurs. Passer des vacances à Jijel-Aouana est moins vendeur que le générique bronzer intelligemment sur la corniche jijelienne. Cette image, ce territoire, une fois créés doivent être préservés et rentabilisés. Appartenir à un territoire, c'est s'assurer une valeur ajoutée. Ainsi, un territoire doit être un ou un ensemble d'offres labellisées. Une fois le secteur du tourisme créé, à celui de la culture de les labelliser.
Présenter le musée Koutama comme un produit unique n'est pas une opportunité économique pour aussi bien la ville de Jijel, l'administration du musée, les TO et autres agences de voyages. L'intérêt de l'offreur grandit si l'offre culturelle est présente dans la communication sur une offre de tourisme culturelle globale d'un territoire.
La communication doit donner une homogénéité à une offre de sites culturels dispatchés sur un large territoire imagé. C'est le packaging de l'offre culturelle.Un package est un label qui regroupe sous une même étiquette un ensemble d'offres différentes. Le musée Koutama, le village archéologique de Djemila, la corniche jijelienne… peuvent très bien figurer dans un package labéllisé pays des Koutama.
La mise en réseau des acteurs du territoire touristique
Etant donné que le tourisme culturel est intimement lié au territoire, son développement passe, comme c'est le cas pour tout développement local, par une logique d'acteurs. Ces derniers doivent être mis en réseaux. Le réseau est un ensemble d'acteurs issus du domaine marchand et non marchand. Dans un territoire touristique, ce sont les acteurs du tourisme et de la culture qui forment le noyau dur du réseau. A ma connaissance, jamais de par le monde un réseau d'acteurs dans un territoire touristique ne s'est auto-créé. Il se construit grâce à une volonté politique qui instaure des institutions d'animation des réseaux.
Au moins cinq (5) missions incombent à ces institutions : l'observation et les études touristiques sur le territoire, la création de produits du tourisme culturel du territoire, la constitution et l'animation de réseaux, enfin la promotion et la communication. Ni les directions de tourisme ni les offices de tourisme dans leurs architectures et prérogatives actuelles ne peuvent remplir ce type de missions. La mise en réseau se fait grâce à ce qu'on appelle les pôles. Le pôle est un fait culturel issu du patrimoine matériel structurant. A titre d'exemple, et pour rester dans la région de Sétif, Jijel, Béjaïa, le pôle peut être le parc animalier d'El Aouana, le village archéologique de Djemila, les grottes merveilleuses de Ziama, ou encore la ville balnéaire de Tichy. On utilise les pôles touristiques très attractifs comme produits d'appel.
A partir des pôles, on fait dans l'irrigation touristique. L'irrigation se fait essentiellement par la communication pour le renvoi de la fréquentation du pôle vers le reste de l'offre du tourisme culturel et faire profiter l'ensemble du territoire. C'est ce couple «Pôle-Irrigation» qui motive les acteurs locaux à se mettre en réseau pour une relation gagnant- gagnant. Pour conclure, on ne peut mener une politique de développement du tourisme culturel sans une nouvelle approche du concept de territoire touristique. En Algérie, les dépenses pour mettre en évidence les faits culturels sont une réalité, la volonté politique de développer la destination Algérie est palpable. Alors, une bonne approche pour l'ouverture et la conduite des chantiers de l'Algérie touristique de demain nous fera gagner du temps et de l'argent.


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