Il y a de la tension dans l'air entre Washington et Tel-Aviv. Cela fait bien longtemps que l'on n'a pas vu un responsable américain oser hausser le ton contre Israël. John Kerry l'a fait et manière spectaculaire. Devant la commission des Affaires étrangères du Sénat, il a déploré, en des termes crus, la mauvaise volonté d'Israël. «Malheureusement, les prisonniers (palestiniens) n'ont pas été libérés le samedi (29 mars) où ils devaient l'être.» Le secrétaire d'Etat américain a enfoncé le clou en lâchant, dépité : «Puis, un jour, deux jours, trois jours sont passés et dans l'après-midi, quand ils (les Israéliens) pouvaient peut-être le faire, 700 logements de colonisation étaient annoncés à Jérusalem et ‘pouf', voilà où nous en sommes.» C'est un discours caustique assez exceptionnel dans la bouche d'un haut responsable de l'Administration américaine à l'égard de «l'ami» et «l'allié» Israël. En creux, John Kerry accuse clairement l'Etat hébreu d'avoir entravé le processus de paix avec les Palestiniens dans le cadre d'un dialogue sous médiation américaine, conduit par son émissaire Martin Indyk. Le gouvernement israélien avait refusé, rappelle-t-on, de libérer le 29 mars, comme prévu, un quatrième et dernier contingent de prisonniers palestiniens. Suite à quoi, le président palestinien, Mahmoud Abbas, avait réagi en signant le 1er avril les demandes d'adhésion de la Palestine à 15 conventions et traités internationaux, estimant que les nouvelles exigences posées par Israël pour ces libérations le déliaient de son engagement de s'abstenir de toute démarche auprès de la communauté internationale. Entre temps, le gouvernement israélien a lancé un nouvel appel d'offres pour la construction de 708 logements dans le quartier de colonisation de Gilo, à Jérusalem-Est occupée. Il ne restait donc à Mahmoud Abbas qu'à franchir la «ligne rouge» en signant les demandes d'adhésion aux instances internationales chargées de la protection des droits des peuples, notamment le Traité de Genève. La Ligue Arabe appuie Mahmoud Abbas Une procédure critiquée au passage par M. Kerry, qui a reproché aux Palestiniens de «ne pas avoir aidé en adhérant aux traités internationaux». Et comme il fallait s'y attendre, Israël qui bombe le torse, assuré de la permanence du parapluie américain, s'est payé la tête de John Kerry. Commentaire railleur du ministre de l'Economie, Naftali Bennett, chef du parti nationaliste religieux Foyer Juif : «J'ai entendu que le programme de construction à Jérusalem avait été défini par un ‘pouf', Israël ne présentera jamais ses excuses pour ses constructions à Jérusalem !» Pourtant John Kerry avait mis en garde pour la première fois mardi qu'il y avait «des limites au temps et aux efforts» de Washington, «si les parties ne sont pas désireuses de faire des progrès». Et il semble bien justement que la reprise sérieuse du processus de paix est le cadet des soucis d'Israël qui joue à fond la montre. Cette tension israélo-américaine a poussé le département d'Etat à calmer le jeu par la voix de la porte-parole, Jennifer Psaki : «John Kerry a dit très clairement que les parties avaient pris des mesures non constructives et à aucun moment il ne s'est livré à un jeu d'accusations.» Quoi qu'il en soit, pour les Etats-Unis, c'est un nouvel échec cuisant de leurs efforts visant à réanimer un processus pour lequel John Kerry a usé ses chaussures au Proche-Orient et en Europe. Devant la commission des Affaires étrangères, le secrétaire d'Etat a dû subir la leçon du vieux sénateur républicain, John McCain, qui ne s'est pas privé de ce plaisir. «Le processus de paix s'est arrêté. Admettez la réalité», lui a-t-il lancé. Kerry a répliqué qu'il revenait aux deux camps (palestinien et israélien) de «prendre les décisions fondamentales». «Ce n'est pas notre décision.» Le processus est-il donc terminé ? Pas encore, espère John Kerry, estimant qu'Israéliens et Palestiniens «ne l'ont pas déclaré mort» et qu'ils «veulent continuer à négocier». Mais négocier quoi face au mur dressé par Netanyahu sur les colonies sauvages et la judéité d'Israël… Une question à laquelle ni Kerry ni Obama et encore moins le Sénat ne semblent pouvoir y répondre au risque de froisser leur allié israélien. Ceci d'autant plus que la Ligue arabe, qui se réunissait hier en session extraordinaire, a apporté son soutien à Mahmoud Abbas et déclaré Israël «entièrement responsable» de la crise.