« Il n'y a pas de zone industrielle. Elle a existé mais elle n'existe plus. » C'est le constat du premier opérateur rencontré dans la zone industrielle d'Es Sénia installé depuis 1983 mais qui a souhaité garder l'anonymat autant sur son identité que sur son activité. Hormis Arzew, une zone à part (hydrocarbures), celle-ci, pour une superficie de 293 ha est la plus ancienne (avec Oued Smar à Alger) et la plus importante par le nombre d'opérateurs privés (une cinquantaine selon des chiffres communiqués). Celle de Hassi Ameur, de moindre importance mais où les mêmes problèmes se posent presque de la même manière, est plus spacieuse avec 315 ha (222 viabilisés) que se partagent une vingtaine d'opérateurs privés. Ce réquisitoire sévère traduit en fait l'Etat d'esprit de nombre de chefs d'entreprises, pas seulement privés d'ailleurs, mécontents de la gestion des espaces communs, ce qui se traduit négativement sur leur activité dans ces lieux délaissés qui devaient pourtant constituer une vitrine pour attirer plus d'investisseurs et donc créer plus d'emplois. Défaut d'éclairage, prolifération d'herbes sauvages, les eaux usées à ciel ouvert, problèmes d'insécurité, pas de ligne de transport sont autant de griefs retenus ajoutés au problème de viabilisation des nouveaux espaces qui handicapent les nouveaux venus et pénalisent les opérateurs déjà installés et désireux de procéder à l'extension de leurs activité. Il y a près de 5 ans (depuis 1997 pour Hassi Ameur), une expérience unique en son genre a pourtant été tentée ici et a failli donner des fruits et régler définitivement le problème de gestion. Moyennant une quote-part de 50 000 DA, les opérateurs deviennent actionnaires d'une société (SOGES) qui avaient pour mission la gestion de la zone. « Le wali de l'époque nous a réunis et nous a bien dit : ‘'ceci est votre bien, l'Etat vous aide et à vous de commencer à travailler'' », se souvient notre interlocuteur qui atteste que « ce ne sont pas tous les opérateurs qui avaient adhéré, notamment au début, mais c'était suffisant pour tracer un programme de travail. » Des locaux, situés à proximité de la deuxième entrée de la zone ont été cédés par les autorités locales et un terrain de 3000 m2 a été dégagé car on devait non seulement installer une infirmerie mais aussi une cantine. Dans le programme d'action figure également la demande d'une ligne de transport. A ce propos on apprend que chaque opérateur sous-traite individuellement. « Quand un employé non véhiculé arrive 5 mn en retard sur le transport de sa société, il est contraint de payer 200 DA (au moins 150) un taxi d'Es Sénia pour venir travailler. » Seulement voilà, subitement le rêve a pris fin car « l'Etat est revenu ». Avec la création de la SGP chargée du patrimoine foncier industriel, on a installé des SGI (société de gestion immobilière) dans les zones et c'est ainsi que la SOGES a été dissoute. Un million de dinars restés dans ses caisses a été redistribué. « Vous nous avez invité et maintenant vous nous chassez », déplore-t-on face aux représentants de l'Etat qui n'ont pas tenus leur promesse. De sources concordantes, la nouvelle société a bénéficié de 50 millions de dinars mais les travaux qu'elle a effectués (un désherbage approximatif, un mur de clôture insuffisant pour cerner la zone sont des exemples donnés à titre indicatif) n'ont pas convaincu les riverains qui se plaignent toujours du défaut d'éclairage de la détérioration des voies d'accès, de l'insécurité, d'égouts bouchés, etc. La liste est tellement longue que nombre d'opérateurs refusent de se soumettre à l'obligation de s'acquitter de leurs taxes car ils ne voient rien venir en retour. Fini le temps où, jusque dans les années 80, avant la faillite du premier établissement public chargé de la gestion de la zone, on fermait les portails après 18 h, on exigeait des laisser-passer et des badges et une voiture avec des gardiens en tenue correcte effectuait même une ronde tard dans la nuit pour s'enquérir de la situation dans les usines. Au sujet de la viabilisation, les opérateurs se demandent pourquoi « en tant que promoteur, l'URBOR ne demande pas des postes à la Sonelgaz, des commutateurs de lignes téléphoniques à Algérie Télécom, de tracer des voies de communication et ériger des murs d'enceinte. » A défaut, les chefs d'entreprises se retrouvent souvent dans l'obligation de se débrouiller eux-mêmes. « A Hassi Ameur, un industriel a dû payer 4 millions de dinars pour s'alimenter en énergie et avoir une voie d'accès », confie ce chef d'entreprise qui a lui-même demandé un terrain dans le cadre du CALPI qu'on lui a accordé à 960 DA le m2 mais en lui précisant que ce tarif était provisoire. D'après ses calculs, avec les investissements qu'il devra consentir pour le rendre viable, le terrain lui reviendrait à 3000 DA le m2. Réflexion faite, il s'est rabattu sur un autre espace moyennant 2000 DA/m2 mais avec beaucoup moins de contraintes. Ainsi, suppose-t-on, des terrains accordés dans le cadre du CALPI sont restés nus depuis des années et ce n'est pas uniquement à cause de la spéculation qui est une réalité, reconnaît-on, mais qui n'explique pas tout. « On refait les mêmes erreurs » Le tronçon de route qui mène vers l'une des extrémités de la zone, une canalisation qui mène vers la sebkha est remblayée. Au bout, une décharge sauvage attire du bétail qui peut facilement pénétrer à l'intérieur de la zone. « Il faut savoir qu'avec la montée du niveau de cette sebkha, les eaux usées ne circulent plus convenablement et les déchets restent sur place, ce qui nous obligent à nettoyer nous même deux fois par an », déplore cet opérateur qui a suggéré que les canalisations à ciel ouvert passant à proximité des édifices soient recouvertes par des dalles en béton pour cacher l'aspect hideux et atténuer les mauvaises odeurs. Pire encore, à l'autre extrémité, du côté de l'agglomération d'Es-Senia, un bidon ville a proliféré sur un terrain déjà attribué et devant abriter, en partenariat avec un investisseur étranger, une usine de fabrication des éviers de cuisine. Ce projet ne verra jamais le jour. M. Boumezrag, à la tête de l'entreprise Etoile Plastique (active depuis 1973, lorsque Oran était qualifiée de capitale du plastic) commence lui par contester le taux unique au m2 appliqué pour la taxe (7 DA environ) jugée non seulement exorbitante mais qui ne tient pas également compte de la nature de l'activité (polluante, non polluante, consommatrice de beaucoup d'énergie, d'eau,etc.) Lui aussi est catégorique : « On est en train de refaire les mêmes erreurs et la SGI n'offre toujours rien car la meilleure solution consiste associer les concernés eux-mêmes dans la gestion de leur espace. » Alors que lui-même a reçu une notification d'un huissier de justice, un autre industriel est poursuivi en justice. Le jour de notre visite, celui-ci n'était pas disponible. Aussi, présidée par M. Gouasmia, une association a été créée pour dit-on, contre carrer cette « hégémonie » et l'obligation de travailler avec la nouvelle société. Sur place, le fils qui assure la relève de son père absent confirme l'information mais n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet. A la tête de l'ETO, la nouvelle entreprise de transport d'Oran, M. Aggouni était directeur du secteur de l'Industrie et des mines. C'est à son époque qu'ont été initié les idées des société de gestion dont les opérateurs détenaient quelque 60 % du capital. Aujourd'hui, retour de situation, lui aussi reçoit cette invitation à s'acquitter de son dû vis-à-vis de la nouvelle société pour l'occupation de 9 ha dont 3 sont occupés par les carcasses des bus de la TVO, posant un problème de sécurité à cause des vols. « Cette façon de procéder est inadéquate car l'entretien d'un espace se fait à vie et si les opérateurs ne sont pas impliqués, on aura beau faire des réalisations merveilleuses (poteaux électriques, clôtures, routes, etc.) avec le temps tout va se dégrader mais il n'est pas sûr que cette société aura les mêmes moyens pour agir. C'est ce qui a été vécu dans le passé », résume-t-il.