A la faveur de sa venue à Alger pour un concert à la salle Ibn Zeydoun, la chanteuse Souad Asla s'est prêtée sans hésitation aucune au jeu de questions/réponses. Le regard pétillant et un charme fou, elle nous parle de sa magnifique rencontre avec Hasna El Bécharia, de sa carrière, de son tout dernier opus Jawal, et surtout de son vœu de se produire en Algérie. -Quelles sont vos premières impressions sur votre rencontre avec le public algérois ? C'est émouvant de se retrouver dans son pays et de s'y produire. Quand je chante sur scène, il y a une certaine interactivité entre le public et moi. Le public algérien comprend ce que je dis. Mais quand je me produis à l'étranger, je suis obligée d'expliquer. Il y a tout un travail qui se fait. Le public algérien est unique en son genre. Il a la musique dans le sang. Il est exigeant et connaisseur à la fois. C'est un public fêtard. A la première note, il se lève pour manifester sa satisfaction. -La chanteuse Hasna El Bécharia est certes votre fer de lance, mais concrètement comment s'est opérée cette transition du théâtre à la musique ? La rencontre avec Hasna El Bécharia est une belle rencontre. Je la connais depuis mon enfance. Elle a animé tous les mariages de mes frères et sœurs. En 1999, elle est venue à Paris pour se produire au Cabaret Sauvage dans le cadre du Festival Voix de femmes. J'avais l'impression que Béchar était venu vers moi. Quand j'ai su qu'elle se produisait à Paris, alors que cela faisait une dizaine d'années que j'étais installée en France, j'ai couru pour aller la voir. J'avais l'impression que toute ma tribu venait vers moi. Après ce sublime concert, on est resté en contact. Comme je n'habitais pas très loin de chez elle, j'allais à chaque fois que le temps me le permettait prendre un thé avec elle. On discutait et, bien évidemment, on chantait. A cette époque, je faisais du théâtre. Mon rêve était de devenir comédienne. La première chose que j'ai faite en venant en France c'était de m'inscrire dans une école de théâtre. J'ai intégré par la suite une troupe artistique et nous avions fait une belle tournée. Ensuite, il y a eu la rencontre avec Hasna El Bécharia. On chantait souvent ensemble par plaisir. Il faut dire que je connaissais par cœur toutes ses chansons. Un jour, elle m'a proposé de chanter avec elle. Au début, j'ai refusé. Elle m'avait demandé de réfléchir, car elle avait besoin de moi. Elle m'a alors présenté sa feuille de route. Elle devait effectuer une tournée internationale. C'était une aubaine pour moi. J'ai finalement accepté. Mais au bout du troisième concert, je me suis rendu compte que ce n'était pas seulement du chant qu'on faisait. Nous étions, en fait, de véritables ambassadrices. Nous avions un rôle important à jouer dans les pays étrangers pour la promotion de notre patrimoine ancestral. A ce moment-là, je me suis dit que ce n'était pas de la rigolade et que c'était plutôt sérieux, il fallait être à la hauteur. A partir de là, j'ai commencé à me documenter sur la musique gnaouie, et ce, en faisant des allers-retours à Béchar. Je me suis imprégnée en collectant des textes anciens. -Il y a eu également une autre aventure dans votre vie, cette rencontre heureuse avec certaines chanteuses de la région de Taghit... Je dirais qu'il y a eu des aventures au pluriel. Je suis allée dans un premier temps à la rencontre de ces femmes de Taghit qui organisent des «hadrette». J'ai essayé de comprendre leur parcours. Ce sont des femmes qui se réunissent depuis des siècles chaque vendredi autour d'une tasse de thé non pas pour chanter seulement, mais également pour discuter de tout et sans tabou. Il y avait un lien reposant sur une solidarité que je ne retrouve pas en France. C'est à ce moment-là que je me suis rendu compte que notre région est immense et riche à la fois. Vous savez, il y a énormément de travail à faire au niveau de la sauvegarde du patrimoine. Il est important de signaler que j'organise depuis cinq ans des ateliers de femmes à Nanterre. C'est à la suite d'un concert donné à la maison de la culture de Nanterre que j'ai eu l'occasion de briefer le directeur de cette institution sur le travail fabuleux de ces femmes de Taghit. Il m'a aussitôt proposé de monter des ateliers. Il y a 19 nationalités. Je suis accompagnée d'un percussionniste et d'une danseuse. On fait ce travail pendant six mois. J'ai pour mission de leur apprendre deux ou trois morceaux du terroir de Béchar. Une fois la formation terminée, j'invite ces femmes à participer à un de mes concerts. Elles font les chœurs pour ensuite chanter les deux morceaux de Taghit. Ce travail a bien été reçu en France, notamment à Grenoble et à Lille. On m'a également sollicitée depuis deux ans pour travailler avec des enfants malades. -Parlez-nous un peu du déclic du projet de votre premier album Jawal ? Ce premier album Djawel comporte onze titres. Il n'y a qu'une seule reprise. Le reste, ce sont des compositions personnelles. Chaque morceau raconte une histoire donnée. Dans Zawali, j'ai mis en exergue l'injustice. Dans La patera, j'évoque l'histoire de ces jeunes qui prennent des barques de fortune pour traverser la Méditerranée. Dans Marchandize, je dénonce l'industrie musicale. Au tout début du projet, j'avais commencé par trois morceaux Salamou, Marchandize et Jabouna. Lors de l'un de mes nombreux concerts à Essaouira en 2003, je me suis installée durant un mois dans une demeure où je répétais en compagnie d'illustres maîtres et amis musiciens. On se plaisait à faire des reprises. Je m'étais enfermée aussi dans une chambre pour apprendre le gumbri avec le maâlem Boudjemaâ. Ce dernier a apprécié l'écriture de mes trois textes. A cette époque, je ne caressais pas le rêve de faire un album. Je suis repartie en France avec mes trois chansons dans les bagages. Par la suite, j'ai sollicité des amis musiciens pour des conseils. Il y a eu une rencontre déterminante avec Sylvia Acquarelli. Cette dernière a fait écouter mes titres à un producteur détenteur d'un studio. Je l'ai rencontré par la suite, tout en n'omettant pas de lui signaler que j'avais d'autres projets d'écriture pour réaliser un album. Cela étant, mon album sera disponible en Algérie en mai prochain, chez Belda Diffusion. -Avec la sortie de ce premier album en solo, peut-on affirmer que vous vous êtes quelque peu détachée de Hasna El Bécharia ? Je ne pourrai jamais me détacher de Hasna. J'ai d'ailleurs participé à son troisième album. Hasna est mon moteur. C'est ma maman spirituelle. Elle a autant besoin de moi que moi d'elle. Nous sommes soudées l'une à l'autre. -Comment définissez-vous votre musique ? Je m'inspire de la musique de Béchar, mais j'ai rajouté d'autres influences, à l'image du blues et de la musique africaine. J'adore la musique africaine, notamment la chanteuse malienne Oumou Sangaré. Je suis également nomade. Quand je voyage, il y a d'autres peuples qui m'intéressent. Chacun de mes morceaux est une invitation à un voyage. Je pense qu'il est impératif de récolter tous les anciens textes et rythmes. Il est urgent de faire ce travail. Mon rêve, c'est de prendre un enregistreur et de sillonner le désert afin de récolter tous les textes. Je le fais à petite échelle. Il faut que les gens prennent conscience du trésor que nous avons. Notre musique est une musique qui guérit. -Vous venez certes régulièrement à Béchar pour vous ressourcer, mais vos prestations sur scène se font rares en Algérie... Il est vrai que je viens très souvent à Béchar. J'aimerais qu'on m'invite. Mon rêve est de me produire dans ma ville natale, Béchar, en Kabylie et à Oran. On ne m'a jamais sollicitée pour aucun festival national. -Quels sont vos projets et votre actualité ? Je suis en train de travailler sur le CD de Hasna. Il y a également le projet d'un film documentaire franco-américain qui est en train de se faire sur Hasna et moi. J'ai quelques dates cet été en France, mais mon plus grand souhait est de pouvoir me produire en Algérie.