Bouteflika est sûrement le seul Président au monde à témoigner ouvertement un profond mépris pour la presse de son pays, qu'elle soit publique ou privée. Même les grands dictateurs de notre époque n'arrivent pas à franchir ce pas. L'homme qui entame son quatrième mandat sur une chaise roulante a, depuis son installation sur le trône, entretenu volontairement des rapports exécrables et à la limite conflictuels avec les médias, particulièrement ceux qui ont pour principe de refuser la soumission. En quinze années de règne son partage, il n'a eu de cesse à afficher ostensiblement son aversion envers un secteur qu'il considère comme insignifiant, voire parasitaire, et qui donc ne peut prétendre à ses yeux d'avoir un rôle dans la société. En fait, ayant raté, lorsqu'il était en exil doré dans les pays du golfe, les grands moments d'ouverture démocratique vécus par la société algérienne, et notamment l'émergence d'une presse libre qui s'est imposée au système dominant par sa crédibilité et sa conviction à servir l'émancipation des idées, il a eu du mal a accepter, en tant qu'ancien apparatchik du régime, les inévitables bouleversements médiatiques qui se sont opérés durant son absence de la scène politique. Pour lui, aussi bien l'avènement du multipartisme que celui la liberté de la presse n'ont été qu'une parenthèse malheureuse et surtout fictive qu'il fallait ignorer à défaut de pouvoir la gommer. En revenant aux affaires, il a donc suivi son instinct en refusant de reconnaître la nouvelle réalité médiatique de son pays, en faisant comme si elle n'existait pas du tout. Une prouesse dont lui seul a le secret. La preuve est que tout le long de ses trois précédents mandats il n'a jamais accordé d'entretien ou d'interview à la presse nationale, alors que sous prétexte de vouloir redorer le blason de l'Algérie à l'extérieur après les terribles années noires du terrorisme, il multipliait les contacts avec les journalistes étrangers, surtout les chaînes de télévision — arabes et européennes —, opportunités à répétition qu'il affectionnait particulièrement et pendant lesquelles il parlait des problèmes que nous vivions et de l'avenir qu'il promettait de construire. Disponible donc pour les médias internationaux, mais pas pour la presse nationale qui, en plus d'être marginalisée, devait subir pour celles qui n'entraient pas dans les rangs les pires stigmatisations. De toute évidence, Bouteflika a montré qu'il avait un problème avec les journalistes algériens qui de son point de vue ne seraient pas à sa hauteur. De là à parler de presse libre qui a un avis à donner, une réflexion à propager, une analyse différente, relèverait tout simplement du parjure. L'exemple du mépris le plus humiliant envers cette profession qui sous d'autres cieux suscite respect et considération est donné par son refus de livrer ses pensées, quand la conjoncture l'exige, à la télévision et à la radio publiques qui lui assurent pourtant tout le travail de propagande nécessaire à sa popularité. Le chef de l'Etat préfère de loin les ondes étrangères, même si ces dernières ne sont souvent pas tendres avec l'Algérie. Quant aux journaux indépendants, que faut-il vraiment penser de l'attitude pour le moins rétrograde du Président lorsqu'il les traite vulgairement de «tayabet el hamam» et leur colle d'autres attributs tout aussi offensants qui dénotent sa totale opposition à l'idée de s'accommoder d'une liberté d'expression qui semble pourtant irréversible. En termes plus clairs, en bon conservateur qui trouve davantage ses marques dans un régime totalitaire, Bouteflika n'a jamais admis que l'on puisse un jour avoir dans notre pays une presse affranchie et libre avec des contours d'un contre-pouvoir pour contrôler les dérives du système. C'est la personnalisation de l'antithèse de la révolution démocratique qui se fait également à travers les médias et qui n'a pas hésité à user de mesures de rétorsion et de représailles les plus draconiennes pour museler les plus récalcitrants. Alors, lorsqu'on relève dans son dernier message à l'occasion de la Journée mondiale de la presse ce passage qui semble intemporel on tombe forcément des nues : «J'ai veillé et je continuerai à veiller à ce que l'exercice de la liberté d'expression et de la presse se fasse loin de toute pression, en dehors de toute tutelle et de toute restriction, si ce n'est celle de la conscience», écrit-il pour montrer qu'il reste un homme d'ouverture, de progrès, un vrai démocrate quoi ! Mais qui veut-on leurrer avec un tel discours qui, de toute façon comme tous les discours officiels ne vont jamais au-delà du stade de la théorie. Mal réélu dans une conjoncture politique et sociale très critique envers son bilan, handicapé par la maladie et donc incapable de maîtriser tous les leviers du pouvoir qu'il doit malgré lui partager au mieux avec son entourage, Bouteflika avait-il réellement besoin de recentrer sa phraséologie démagogique pour s'attirer les faveurs d'une opinion publique qui a toujours vu en lui un personnage du passé ? En tout état de cause, les faits parlent pour lui et ce n'est pas en manipulant les mots qu'il peut nous convaincre de sa subite et étrange reconversion. La vérité est que sous son règne la presse, toutes catégories confondues, éprouve les plus grandes difficultés pour exercer son métier. Le régime joue sur les registres classiques de l'intimidation, de la corruption, de la répression pour éviter le developpement d'une presse qui le remet en cause. A l'image des télés privées mises sous l'éteignoir alors qu'elles étaient destinées à libérer le champ audiovisuel, c'est toute la politique de communication bouteflikienne qui s'étale et qui ne peut tromper personne malgré le langage nouveau qui se veut moins dogmatique. Il avait trois mandats pour donner à la presse nationale ses titres de noblesse. Il ne l'a pas fait.