Le courage de Belkacem Hadjadj dans Fadhma N'Soumer est de filmer la trahison de certaines tribus en Kabylie et la sauvagerie de la colonisation française. Il a fallu plus de quatre ans à Belkacem Hadjadj pour réaliser le film Fadhma N'Soumer, sorti dimanche et lundi en avant-première à Alger. Film événement ? On peut le penser, dans la mesure où c'est la première fois que le cinéma algérien s'intéresse à une figure de la résistance populaire contre le colonialisme français dans la Kabylie du XIXe siècle. Le cinéaste a trouvé des difficultés dans la recherche de documents sur la personnalité de Lalla Fadhma N'Soumer (1830-1863). Voilà, encore une fois, la faillite manifeste des historiens algériens qui n'ont toujours pas écrit sur la longue lutte contre la présence coloniale française. Le manque d'archives a compliqué l'élaboration du scénario, coécrit avec le scénariste canadien Marcel Beaulieu (et non pas français comme nous l'avons mentionné dans notre édition d'hier). Marcel Beaulieu a, entre autres, écrit des scénarios de plusieurs films, comme Cap Tourmente (1993) et Mémoires affectives (2004). «J'ai travaillé pendant une année et demie avec le scénariste sous le contrôle de deux historiens. C'est extrêmement compliqué de présenter d'une manière fictionnelle les sujets historiques. Cela est relativement facile pour les documentaires, puisqu'on va vers la matière réelle. Une fiction, c'est d'abord de l'émotion. Il s'agit de personnages, une histoire entre ces personnages. Il y a donc toute une alchimie, c'est tout cela l'écriture pour fabriquer un produit qui fait vibrer le spectateur. Il est évident que parmi les violences qu'on fait à l'Histoire lorsqu'on réalise un film pareil, c'est de réduire la période. Dans Fadhma N'Soumer, nous avons contracté en deux heures une période qui va de 1849 à 1857. Il y a d'autres personnages importants qui ont vécu à cette période, mais qui n'existent pas dans ce long métrage», a expliqué Belkacem Hadjadj. L'armée coloniale française n'a occupé totalement la Kabylie qu'après l'arrestation de Fadhma N'Soumer vers 1857. Sans prendre les armes, N'Soumer a remplacé Boubeghla, tué d'une balle dans le dos par un chef de tribu allié de la France. Le courage de Belkacem Hadjadj réside notamment dans cette scène qui montre clairement que des tribus (comme ce fut le cas pour l'Emir Abdelkader) ont trahi les résistants aux militaires français et ont prêté allégeance aux occupants. Belkacem Hadjadj a filmé des scènes dures de militaires français, menés notamment par le maréchal Randon et le colonel Beauprêtre, qui ont saccagé plus de 200 villages, tué sans distinction femmes, enfants, malades, vieillards, animaux, coupé plus de 30 000 arbres, réduit à la famine des milliers d'Algériens pour réduire la population locale et renforcer l'occupation. «Ils ne veulent pas qu'on les civilise, ils auront le châtiment qu'ils méritent», a promis le sinistre Randon. Dans le film, le début de l'engagement combatif de Chérif Boubeghla (interprété par Assad Bouab) n'a pas été montré. Pourquoi Boubeghla a-t-il pris les armes alors que ses batailles sont bien présentes dans le long métrage ? Le personnage de Fadhma N'Soumer (Laïtitia Eido) est resté presque à la marge, alors qu'il est supposé être au centre de la narration dramatique. Son rapprochement avec Boubeghla a été quelque peu accéléré, alors que le fondement cultuel de sa méditation et sa «retraite solitaire» ne sont pas visibles. Quelle était l'influence de la Zaouia Rahmania sur la personnalité de Fadhma N'Soumer ? Il n'y a pas de réponse dans le film. Le cinéaste a reconnu lors de la projection presse qu'il a été compliqué de rapporter à l'écran le rapport entre Boubeghla et Fadhma. «Boubeghla est un personnage de cinéma, d'action, il frappe, gueule… Il est en mouvement. Fadhma est dans la méditation, le spirituel, c'est sa force. La grosse difficulté est là. Il fallait évoquer le personnage de Fadhma N'Soumer alors que peu de documents existent. Les généraux français ont écrit sur Boubeghla, alors que Fadhma était en retrait, en arrière-plan. Les rares écrits sur elle remontent à la bataille de Sébaou. On n'avait que la légende. Il fallait donc fabriquer le personnage de Fadhma à partir de la légende sans tomber dans le ridicule et dans le faux», a souligné Belkacem Hadjadj. Face à cette situation, l'écriture du scénario devait assurer l'équilibre entre les deux personnages. Mais à l'écran, Boubeghla a pris quelque peu le dessus. A cause de l'action ? La spiritualité dans un film de bataille est un véritable os. «Et la spiritualité est une abstraction par essence. Nous avons eu beaucoup de problèmes pour rétablir l'équilibre entre Boubeghla, le personnage flamboyant.»