Samedi dernier, 46 migrants nigériens sont morts de soif et de faim près de la frontière algéro-nigérienne. Un drame qui en rappelle d'autres dans cette région que les militaires de l'ANP appelle, dans leur langage codé, le «Triangle des Bermudes» et qui s'étend du nord du Niger jusqu'à In Guezzam en Algérie. C'est Erg Fechfech, là où des centaines de migrants ont trouvé la mort après des jours de perdition et de soif. Et ce, des années durant. Les passeurs «débarquent» les clandestins à 100 ou 50 km d'In Guezzam de peur de se faire repérer par les avions de reconnaissance de l'ANP. Les migrants doivent ensuite regagner les abords d'In Guezzam, de nuit, en s'orientant grâce aux lointaines et faibles lumières de la ville frontalière. «Parfois, les migrants sont abandonnés par les passeurs à 200 km de la frontière, et comme ils ne peuvent se déplacer chacun avec plus de 5 litres d'eau et 5 kg de dattes ou autres provisions, il arrive qu'ils se perdent et meurent de soif», explique une source sur place. En 2013, la gendarmerie a enregistré 30 alertes concernant des migrants perdus dans cette région, dont 10 ont nécessité des opérations militaires de sauvetage. L'alerte la plus importante a été donnée en octobre 2013, car 120 migrants se sont perdus dont 90 ont été retrouvés morts. Une autre opération de recherche, en janvier 2014, a permis à l'armée algérienne de sauver 40 clandestins. Djinns «Le désert du Ténéré, au nord du Niger, est resté le seul passage sécurisé pour les migrants clandestins depuis le déclenchement de la guerre au nord du Mali et les renforts algériens sur la frontières avec le Mali», explique Maoudji Abdelouahab, commandant de gendarmerie à la retraite, qui a participé à des opérations de sauvetage de migrants perdus dans ce triangle de la mort. L'ancien officier précise que «cette région du nord du Niger reste très dangereuse de par l'absence de points d'eau et la rareté de populations nomades». On est loin des explications des habitants de la région, qui évoquent les djinns et les mauvais esprits du désert, comme le dit Souhan Tahar, un des notables touareg d'In Guezzam : «Enfants déjà on entendait beaucoup d'histoires sur cette région de Tounina, au fin fond du Ténéré, où personne ne peut passer la nuit depuis des siècles à cause des cris horribles d'êtres invisibles.» Au Niger, les proches des victimes disparues demandent l'aide de Narssi, à Berini N'konni (sud du pays), un sorcier qui «peut savoir si les disparus sont morts ou vivants», selon Aïzzi Nouankou, un Nigérien, rencontré à In Guezzam, qui raconte même des cas de disparus «retrouvés» grâce à la magie du sorcier. Témoignage «Le désert est un monstre féroce» : Aminou, un Nigérien, travaille comme garçon de café à Tamanrasset, s'est perdu durant cinq jours, sans eau ni nourriture, dans ce triangle, il y a quelques années. En 2006, il a quitté avec son ami et deux autres clandestins Agadez au nord du Niger, direction In Guezzam, dans un camion de transport de bétail. Après sept heures de piste et à 400 km de la frontière, il décide avec son ami de dormir un moment pour récupérer un peu de forces après la difficile traversée dans le vieux camion. «Mais les bruits étranges du désert nous ont fait peur, alors on a décidé de quitter le lieu en pleine nuit, surtout qu'on commençait à voir des lumières au loin», raconte Aminou. Or, il ne s'agissait pas d'In Guezzam, mais d'une installation de forage : les deux clandestins dérivent trop à l'Est, et au lieu d'atteindre la frontière en quelques heures, ils naviguent à vue durant 48 heures, alors que l'eau et le carburant s'épuisent. «Nous pleurions de peur et de désespoir. Nous nous sommes séparés en deux groupes pour tenter de retrouver le chemin, sans eau, sous la chaleur accablante, on ne pouvait plus marcher après quelques heures… Nous nous abritions, mon ami et moi, sous un arbuste sec et nous évitions de parler pour économiser le peu de salive dans la bouche et la gorge… Un de nos compagnons m'avait dit, avant de se séparer, que le désert va même faire disparaître nos cadavres. On a ensuite commencé à dire la chahada, on était certain de mourir ici et je me suis évanoui. Un jour après, j'entendais des gens parler autour de moi : ‘'Regarde, il est encore vivant.''» Des nomades de passage les avaient transportés ensuite à Arlit, mais les gendarmes nigériens n'ont jamais retrouvé les deux autres compagnons, «avalés par ce monstre féroce qu'est le désert».