Sur les 1,25 million de ruches que compte l'Algérie, 130 000 unités sont implantées dans la wilaya de Tizi Ouzou, qui peut se prévaloir, ainsi, d'être la première région mellifère du pays avec une production de miel annuelle estimée officiellement à 355 q. Mais cette réalité chiffrée prend une tout autre signification lorsque l'on apprend que la demande, nationale ou locale, n'est pas satisfaite. Pis encore, ce " manque à produire " semble avoir ouvert, à Tizi Ouzou comme ailleurs, l'appétit des gens tentés par la fraude sur cette substance royale dont le litre est cédé entre 2600 et 3000 DA. Selon Saoudi Achour, responsable de la coopérative agricole des petits élevages de Tizi Ouzou (COOPAPIST), " les procédés de fraude, ayant cours ces dernières années, consistent à utiliser du sucre interverti que l'on mélange avec du miel importé d'Amérique du nord et de la gaufre (cadre de cire) ". Ceci donne à ce " miel d'imitation vendu en tant que miel pur " une consistance, une texture et un goût à même de tromper le plus averti des consommateurs. Plaque tournante de la filière apicole à Tizi Ouzou, la COOPAPIST collecte et commercialise l'essentiel de la production locale de miel depuis sa création en 1989. Son responsable affirme que " le miel que nous traitons, est analysé avant l'achat en vrac chez nos adhérents apiculteurs au prix de 700 da/kg". En s'élevant contre les pratiques de fraude qui portent atteinte à la filière, il précise, néanmoins, que " de nos jours, le consommateur arrive à faire la part des choses au point de bouder même le miel importé au profit de la production locale, car il sait que des prix bas ne sont jamais un gage de qualité ". En ce sens, notre vis-à-vis nous explique qu'en matière de conformité aux règles d'étiquetage et d'emballage, " les choses se font petit à petit ". Louant les vertus du miel de Kabylie, M. Saoudi ajoute au sujet de l'exportation : " Des apiculteurs français (d'Aix en Provence) avec lesquels je suis en contact, sont intéressés par nos produits. Mais pour ce faire, il faut un déclic pour atteindre le stade de la surproduction et espérer, à terme, exporter. Pour le moment, la demande nationale n'est pas satisfaite et seule une action de sensibilisation et de vulgarisation, notamment dans les foires commerciales et les salons agricoles sont à même de booster la production ". Entre autres mesures susceptibles de consolider la filière apicole dans la région, ce professionnel recommande de " veiller à la pérennité des pépinières apicoles existantes (plus d'une vingtaine à Tizi Ouzou) pour libérer les apiculteurs qui doivent se consacrer à la production de miel ". " Pour un surcroît de qualité, l'urgence est de renforcer le reboisement des massifs forestiers et des maquis par des essences mellifères et ouvrir des pistes et accès vers ces espaces pour permettre aux fellahs de pouvoir y mettre leurs ruchers le temps de la transhumance", précise-t-il. Ce qui ne manquera pas de diversifier l'offre car, pour l'heure, l'essentiel du miel produit est multi-floral, indique-t-on. Ce souci de rehausser le prestige du miel, nous est confirmé par l'association pour l'agriculture de montagne (APAM) de Ain El Hammam et Iferhounène. Ses animateurs disent travailler " dans le sens de mettre au point un label de qualité pour le miel de notre région ". " Nous encourageons et sensibilisons les apiculteurs pour l'utilisation systématique de l'étiquetage et le contrôle de la qualité de leur production et le recours aux pots en verre ou plastic alimentaire pour le conditionnement. Actuellement, nous prospectons dans le milieu des laboratoires universitaires pour la mise en place d'une certification de nos produits. Ceci est d'autant plus urgent que le miel continue à s'écouler de manière quasi-clandestine", affirment les responsables de l'APAM. Qualité douteuse Très jaloux de leur réputation et du réseau d'écoulement de leurs produits, nos interlocuteurs annoncent que " ces derniers mois, des personnes, étrangères à la région, démarchent les apiculteurs pour les convaincre à acheter du miel en grande quantité et l'injecter dans le circuit local de vente. D'origine et de qualité douteuses, nos producteurs refusent, pour le moment de tomber dans le piège, mais les risques de succomber à la tentation sont grands ". " Nous sommes convaincus que sans l'implication des services du ministère du commerce et des associations de protection du consommateurs, nous connaîtrons beaucoup de dérives dans la filière qui sera prise en otage par les charlatans", préviennent-ils en expliquant que " si de nos jours, le consommateur sait ce qu'il cherche, il n'a aucune garantie ni moyen de vérifier que le miel qu'il a acheté est pur ou non ". A ce propos, le président de l'association de protection du consommateur " consommons sain " de Tizi Ouzou nous dit : " Actuellement, le seul contrôle que les laboratoires d'analyse de la qualité effectuent sur le miel porte sur sa teneur en saccharose. Si cette mesure dépasse un seuil déterminé (pris pour moyenne), on suspecte une fraude ". L'erreur, selon Hamidechi Karim, est de se fier à la couleur, le goût ou la texture du miel. " Ce sont des caractéristiques que les fraudeurs maîtrisent de plus en plus parfaitement. Et à notre connaissance, il n'existe pas de normes algériennes auxquelles doit se conformer le miel ". " A chaque rencontre que nous avons avec les responsables des ministères du commerce, de la santé ou de l'agriculture, nous mettons sur la table la mise en place de normes et de labels de qualité pour les produits agroalimentaires " affirme notre interlocuteur soulignant qu'il faut surtout distinguer entre la certification d'un produit, qui touche aux processus et conditions de fabrication ou de production, et la labellisation qui concerne la qualité et le prestige du produit. A la direction du commerce de la wilaya de Tizi Ouzou, l'on nous précise que la seule vérification effectuée concernant le miel porte sur l'étiquetage et les conditions de commercialisation et selon le collectif " consommons sain ", cela fait l'objet du décret exécutif n° 05-484 du 22 décembre 2005 modifiant et complétant le décret exécutif n° 90-367 du 10 novembre 1990 relatif à l'étiquetage et à la présentation des denrées alimentaires. Du coté des pouvoirs publics, les choses semblent connaître un début de prise en charge. Ainsi, inaugurant le salon de l'oléiculture et de l'apiculture, tenu dans la ville de Tizi Ouzou du 25 au 27 avril dernier, le ministre de l'Agriculture et du Développement rural Saïd Barkat a annoncé, que " l'Etat a l'intention d'aller vers la labellisation du miel produit localement qui pourra ainsi être compétitif sur le marché européen", rappelant que la conquête du marché se fera par une production qui se devait d'être de qualité. " Avec l'aide des établissements de formation spécialisés, l'Etat, tout en encourageant la profession à s'organiser, établira des labels régionaux pour les produits oléicoles et apicoles et facilitera l'obtention des certifications appropriées pour leur exportation ", avait-t-il affirmé insistant auprès des agriculteurs afin de recourir à des procédés de production rigoureux et scientifiques. En ce sens, il avait exhorté les professionnels et les responsables locaux pour attirer dans la wilaya de Tizi Ouzou une industrie capable d'apporter aux filières, traditionnellement en vogue dans la région, un surcroît de technicité et de savoir faire et rehausser ainsi le prestige du miel et de l'huile d'olive locaux. Producteurs d'abeilles : le temps des essaims… Avec une vingtaine de pépinières apicoles, la production actuelle, dans la wilaya de Tizi Ouzou, est de 75 000 essaims/an, selon les chiffres présentés par la direction des services agricoles lors du salon de l'oléiculture et de l'apiculture tenu fin avril dernier. Dans les années 1990, la coopérative COOPAPIST produisait entre 50 000 à 60 000 essaims/an " pour répondre aux besoins nationaux suscités par les investissements dans l'apiculture à travers les divers créneaux de création d'activités mis en place à cette époque ". " Pour diverses raison, notamment le manque de maîtrise et d'expérience, la mortalité de ces essaims a avoisiné les 30%, mais le pire s'est produit au début vers 1992, lorsque le cheptel national a été décimé à près de 80% par un parasite qui a été efficacement combattu depuis ", indique le responsable de la COOPAPIST qui précise que seule la moitié du rucher local est destinée à la production des essaims et des reines, l'autre moitié produisant du miel. Pour sa part, le président de l'APAM trouve que le marché des essaims est saturé car, explique-t-il, il a connu une ruée du fait du peu d'investissement qu'il nécessite et des gains substantiels engendrés, sachant que le prix d'une ruche est de 2200 DA. Le risque est de voir, selon ce professionnel, les apiculteurs délaisser la production de miel et faire dans la reproduction exclusivement. " Pour mieux asseoir la filière apicole dans la région, les services agricoles doivent faire le point par rapport au programme du FNRDA ", ajoute M. Ould Braham, animateur de l'APAM soulignant, par ailleurs, que des lacunes sont constatées chez certains fellahs manquent de maîtrise des techniques d'élevage et de production.