Un palmarès toujours aussi contrasté... La Palme d'Or au Turc Nuri Bilge Ceylan est pour une large part méritée, même si son film n'est pas un chef-d'œuvre incontournable. Déjà primé plusieurs fois ici, le cinéaste d'Istanbul s'est glissé maintenant parmi les happy-few possesseurs de la Palme qui n'est pas de pacotille. Le jury a pourtant réussi à dérober à nos yeux au moins deux grandes œuvres : Timbuktu de Abderrahmane Sissako, et Still The Water de Naomi Kawase, mises hors-champ d'un palmarès qui risque bien de pâtir de cet injuste oubli. Après coup, le jury a eu le bon goût d'expliquer ce qui a favorisé à ses yeux la production turque malgré sa longueur (3h16). Jane Campion a dit avoir aimé les dialogues à la manière de Tchékov et le lent dépérissement du héros qui se produit par affrontements successifs avec une sœur divorcée et une jeune épouse désemparée. C'est en effet autour de la figure d'un célèbre acteur de théâtre que le récit se met en scène. Il a quitté Istanbul et possède un hôtel dans les cimes enneigées et splendides du Cappadoce. C'est dans ce huis clos que circulent les sentiments de désir et de haine. La vie réelle est impitoyable et sans appel, dixit Nuri Bilge Ceylan qui, en recevant sa Palme, a dit son soutien à la jeunesse turque qui se bat contre le pouvoir. Pour son dernier mandat, le président du Festival, Gilles Jacob, voyait sans doute la Palme destinée à d'autres. Mais les films français manquaient singulièrement d'audace. Ni The Search de Michel Hazanavicius, ni Saint-Laurent de Bertrand Bonello, ni Sils Maria d'Olivier Assayas ne semblaient convenir à une sélection rigoureuse. Même pas Goodbye To Language de Jean-Luc Godard. Du cinéaste suisse, on attendait une œuvre aérée, détendue, au sommet de l'intelligence. On tombe sur des morceaux d'images et de citations méconnaissables, difficilement raccordables. Godard est sur une voie de garage. Il a perdu son rôle d'iconoclaste dans le cinéma mondial. Mais le jury lui a donné un prix à partager avec Xavier Dolan qui passe pour le Québécois rebelle. Ceci dit, à la tête du Festival, le programme du tandem Jacob-Frémaux, en attendant Lescure-Frémaux en 2015, a fourni cette année des œuvres magistrales avec des actrices et acteurs magnifiques. Julianne Moore, dans Maps Of The Stars de David Cronenberg, a bien mérité son Prix d'interprétation. Elle joue la belle Havana Segrand qui, avec acharnement et cynisme, s'affirme comme femme et actrice à Hollywood, où les stars se télescopent dans un déchainement de violence et de sexe. Selon Cronenberg, c'est ainsi que vont les choses à l'ombre des studios et sur les pentes de Beverly Hills. L'Anglais Timothy Spall, Prix d'interprétation masculine logique, joue vingt-cinq ans de la vie du peintre Turner (1775-1851) dans M. Turner de Mike Leigh. Peintre illustre certes, Turner avait un caractère brut et détestable. Mais c'est justement ce contraste qui séduit : un comportement relevant de l'asile de fous et des tableaux aux paysages splendides. Un authentique marginal en somme.