L'Institut français de civilisation musulmane (IFCM) vient d'organiser un séminaire inédit sur le phénomène de la radicalisation, avec le soutien de la Fondation d'aide aux victimes du terrorisme. Lyon De notre correspondant Depuis la vague des départs pour le djihad en Syrie qui marque les esprits en France, une rencontre sur la radicalisation, organisée récemment à Lyon par l'Institut français de civilisation musulmane (IFCM), innove en la matière. En effet, le phénomène est inquiétant, voire déroutant. Au-delà de l'aspect le plus spectaculaire des gens déboussolés qui embrassent l'islam pour devenir des extrémistes, l'événement interroge les responsables religieux musulmans. Souvent démunis face à un phénomène qui se situe à l'écart des circuits ordinaires des pratiques paisibles de la foi musulmane ou de la transmission de cette foi, les cadres religieux, les imams ou les enseignants des écoles coraniques veulent comprendre ces dérives. Surtout qu'ils peuvent se sentir désarçonnés face «aux angoisses des parents qui voient leurs enfants s'enfoncer dans une voie infernale sur laquelle ils n'ont plus de prise». L'objectif de ce carrefour de formation, indique le recteur Kamel Kabtane, de la Grande mosquée de Lyon, était de faire «un point sur ce phénomène aux multiples ressorts qui nécessite des approches croisées». Il nous a d'ailleurs précisé qu'il regrette qu'un tel dossier ne soit pas pris à bras-le-corps par l'ensemble des institutions censées représenter l'islam et particulièrement le Conseil français du culte musulman, qu'il juge trop silencieux sur ce sujet qui devrait «mobiliser davantage». Il s'agit d'anticiper au lieu de compter seulement sur l'intervention «de la justice et de la police», ajoute-t-il. Les parcours de radicalisation sont variés avec, dans certains cas, des phénomènes d'emprise mentale, mais surtout «d'endoctrinement politico-religieux qui, souvent, n'implique pas un substrat théologique consistant et qui agit dans le sens d'une dépersonnalisation», comme l'a affirmé l'anthropologue Dounia Bouzar. Au cours des débats, l'importance d'Internet a été soulignée. Il joue «un rôle important de catalyseur et de mise en contact». Il a été démontré également qu'il n'est qu'une étape parmi les différentes phases de la radicalisation. Pour être positif, on a polarisé sur le rôle des imams «jugé central afin d'éclaircir la signification positive des textes sacrés», selon Azzedine Gaci, recteur de la mosquée de Villeurbanne et co-organisateur de ce séminaire. «Le traitement de la radicalisation nécessite une mobilisation coordonnée des pouvoirs publics, des responsables religieux et de la société civile, chacun dans le domaine qui est le sien». Pascal Courtade, chef du Bureau central des cultes du ministère de l'Intérieur, a souhaité qu'«une voie française de la prévention de la radicalisation soit imaginée, à l'image de ce qui a été fait dans les autres pays européens comme l'Angleterre, tout en conservant notre spécificité et en ayant en tête le souci du décloisonnement entre les différents acteurs concernés». Le deuxième jour, c'était le tour des responsables religieux de la région lyonnaise et notamment le président du CRCM Rhône-Alpes, M. Bendidi. On y a évoqué et débattu de la mobilisation des imams et de «la nécessité de replacer la norme religieuse à sa juste place, non pas celle d'une frontière absolue entre l'interdit et le licite, mais comme une compréhension humaniste». Pour les intervenants, «la question de la radicalisation doit être abordée sans tabou dans les prêches et lors de l'éducation islamique des enfants. L'accompagnement des personnes souhaitant se convertir et la formation religieuse des adolescents doivent être renforcés». Autant de vœux constructifs, à condition que «les imams soient formés à la déconstruction des discours religieux des radicaux», comme l'a développé Ahmed Miktar, président de l'Association des imams de France. Il est à signaler d'ailleurs qu'une quarantaine d'imams et de responsables religieux de la région Rhône-Alpes ont largement participé à ces échanges, au cours desquels ils ont insisté «sur la difficulté de l'exercice de leur fonction». Ils ont réaffirmé fortement le besoin de doter les imams d'un statut qui conforte leur place au sein de la communauté musulmane. Du reste, hasard du calendrier, un autre séminaire a eu lieu le week-end dernier à Paris, à la mosquée Daâwa. Un signe que le sujet n'est pas pris à la légère.