Karim Tabbou, figure de l'opposition, peine à créer son parti, l'Union démocratique et sociale (UDS). Concurrence, crise de crédibilité, blocage administratif, la nouvelle formation devra d'emblée faire face aux obstacles récurrents de la vie politique. Pourra-t-il réussir là où de nombreux jeunes partis piétinent ? «Le pays est sujet à toutes les évolutions négatives, l'Etat est déliquescent et le risque de son anéantissement est bien réel», fustige un Karim Tabbou requinqué à l'occasion de l'annonce du lancement de l'UDS lors d'un point presse tenu à Alger le 31 août 2013. Après avoir démissionné en novembre 2012 de son école politique, le Front des forces socialistes (FFS), après deux années d'exercice à la tête du parti, Karim Tabbou a marqué son retour en arrivant à la tête d'un nouveau parti «d'opposition radicale,» refusant toute compromission avec le régime en place et estimant devoir «opérer un changement de cap (…) pour être au rendez vous de l'histoire». En vain, prévu le 30 mai dernier à la Mutuelle de Zéralda, le Congrès constitutif préalable à la création du parti est annulé. Motif : le ministère de l'Intérieur n'a pas fourni les autorisations nécessaires. Le 21 mai, Karim Tabbou monte au créneau et dénonce lors d'une conférence de presse les «entraves administratives» l'empêchant de tenir son Congrès et son «exclusion des consultations sur la révision constitutionnelle». Karim Tabbou et l'UDS demeurent toujours sans parti. Au lendemain de la loi sur les partis promulguée en janvier 2012, une cinquantaine de micro-partis ont vu le jour sans apporter de changement significatif dans la vie politique. A supposer que Karim Tabbou obtienne finalement son agrément, saura-t-il se différencier ? Redondant «Il ne suffit pas de créer un parti pour exister sur la scène politique, ce qu'il faut c'est un discours novateur et c'est ce qui manque aujourd'hui dans la classe politique,» affirme Abdelhak Mekki, politologue et candidat indépendant à l'élection présidentielle de 2014. Pour lui, très peu de petits partis parmi les 53 créés trois mois avant les législatives de mai 2012, ont réussi à percer ou s'en sont sortis avec seulement quelques députés «en amenant rien de nouveau sur la scène politique». Quant à l'ex-leader FFS « il n'a pas non plus, à la tête du FFS, contribué à une clarification du champ politique même si il a introduit des questions importantes dans le débat au sein du parti» ajoute-t-il. Deuxième obstacle : l'opinion publique et la crédibilité politique. Pour Abdelhak Mekki, «même féru de politique,» Karim Tabbou ne pourra transparaître autrement qu'à travers la vision de l'opinion publique, car «son parti en devenir n'a pas plus de militants que d'autres partis et les citoyens algériens s'inscrivent en minorité dans les partis de masse». Et de poursuivre: «le discours politique de Tabbou se rapproche de celui du FFS, qui lui même se rapproche de celui du RCD en défendant l'idée de progrès et en suivant les mêmes revendications. L'alternative n'existe pas encore, car le discours politique est pauvre et peu ancré. Les 105 candidatures à la présidentielle de 2014 montrent que la classe politique traditionnelle est incapable de produire un projet de société viable. Je n'ai pas entendu jusque là Karim Tabbou formuler un discours public véritablement ancré». Démystification Ce qui selon A.Mekki, implique que ce dernier se taille un costume d'opposant radical à sa juste mesure, en ne cédant pas «à la facilité la contestation du système mais en construisant une alternative qui apporte des solutions concrètes aux problèmes». Pour Louisa Dris-Aït Hamadouche, enseignante à l'université d'Alger, Karim Tabbou demeure tout simplement fidèle à son ancienne école, «par rapport à son positionnement vis à vis du régime, elle précise, mais aussi parce qu'il est dans une logique de position sans concession, par rapport à sa famille originelle avant les ambivalences récentes de ces dernières années. Il défend également le même projet de société fondé sur une conception sociale démocrate, à savoir un compromis entre l'économie de marché et la justice sociale». Cependant, il n'est pas, selon elle «dans l'intérêt de Karim Tabbou de créer un parti dans l'ombre du FFS sans que l'on voit dans cette initiative l'idée d'un opportunisme mais plutôt de rester fidèle a ses convictions, en corrigeant les erreurs du FFS et en construisant son parti sur une identité autonome». Et Karim Tabbou semble déjà être à son avantage selon l'universitaire : «Même si il n'a pas obtenu d'agrément, il reste une figure politique forte et très médiatisée, même sans parti. Karim Tabbou a tous les attributs du leadership et est sans doute plus connu que l'UDS. Il peut être une vitrine politique positive tant qu'il dégage une image positive, l'inverse est possible aussi». Leadership Pour Abdelhak Mekki, le risque pour un petit parti est au contraire de mobiliser des gens autour d'une personne et non d'une idée, ce qui fausse la crédibilité du leader. A ce titre, certains des anciens camarades FFS de Karim Tabbou, lui reprochent, son «attachement démesuré» au poste de responsabilité : «c'est un des rares hommes politiques qui s'est érigé au sommet du FFS très jeune (en avril 2007, à l'âge de 35 ans, ndlr). Mais il fait cavalier seul, ce qui discrédite fortement ses positions démocratiques,» affirme un élu FFS. «Il n'accepte pas les avis contraires,» corrobore un membre du conseil national du FFS, en référence notamment à la «suppression des sections universitaires du FFS et à l'exclusion d'anciens membres du parti en conflit avec le nouveau leader». Pour Louisa Dris Aït-Hamadouche : «si Karim Tabbou parvient à obtenir l'agrément, il faudra qu'il développe très tôt les mécanismes de résolution consensuelle des différends internes et ceux qui permettent l'alternance. Sinon, l'UDS rencontrera probablement les mêmes soucis qu'on connu tous les grands partis à savoir la dissension interne puis le transfuge. Tous le malheur du multipartisme algérien est que les partis qui se disent démocratiques n'appliquent pas eux-mêmes les règles de la démocratie.» Alliance stratégique Interrogé sur la base d'une confidence d'un membre de l'UDS, sur l'existence de désaccords internes, liés au rapprochement de Karim Tabbou avec les islamistes. Ce dernier dément : «J'ai remis au ministère une liste de 65 co-fondateurs qui sont en accord avec la ligne politique du parti». Une semaine plus tôt, Karim Tabbou déclarait en marge de la Conférence nationale sur la transition, tenue le 10 juin à l'hôtel Mazafran (Zéralda) que «l'opposition est aujourd'hui unie et constitue une alternative». Organisée sous l'égide de la Coordination pour les libertés et la transition démocratique (CLTD), opposition «libérale» et opposition islamiste se sont réunies pour donner le ton de la transition politique. Fin avril 2014, des anciens dirigeants du FFS (dont Karim Tabbou) et de l'ex-FIS ont également formé l'Alliance nationale pour le changement (ANC), un espace de consultation et de coordination «ouvert à tous les courants idéologiques ou partisans». «Karim Tabbou n'est pas le seul à se rapprocher des islamistes, nuance Louisa Dris-Aït Hamadouche. Tous les partis politiques cherchent à légitimer leur projet en s'érigeant comme le représentant du consensus, ce qui selon eux, implique l'intégration de tous les spectres idéologiques. Concurrence Dans l'esprit de l'opposition, il serait naïf de laisser le champs de la récupération politique des anciens responsables du FIS au seul régime en place (dans le cadre des consultations sur la révision constitutionnelle, des personnalités proches du FIS dissous et de l'AIS ont été sollicitées, ndlr). Le but de l'opposition à l'image de Tabbou et de former un rapport de force plus favorable vis à vis du pouvoir en place, en associant un FIS ‘déradicalisé' à leur projet politique». Pour Ali Amara, secrétaire général du parti algérien vert pour le développement (PAVD), «les politiques menées sur des valeurs identitaires à l'instar de l'islam, du nationalisme ou de l'amazighité sont des fonds de commerce et elles tendent souvent à diviser» critique t-il, en annonçant qu'il ferai lui aussi le choix stratégique d'une alliance, à condition de trouver des partenaires qui «s'alignent sur les mêmes principes idéologiques» que le parti écologique. Dans son discours du 31 août 2013 Karim Tabbou a rejeté les «pratiques sectaires et régionalistes» qui «constituent des menaces réelles pour l'unité et la cohésion nationale». Rachid Tlemçani, professeur en sciences politiques à l'université d'Alger, prédit néanmoins au jeune leader, un avenir difficile dans les régions où la formation aurait le plus de chance de s'étendre. «L'UDS est dirigé par un groupe de dissidents FFS, ce qui de fait l'inscrit géographiquement dans la grande Kabylie. Si l'UDS ambitionne d'avoir une assise dans cette région, il ne sera facile pour lui de se nicher car le terrain est déjà pris par le FFS, le RCD et un Mak hégémonique qui répond aux volontés autonomistes d'une population déçue par les élites politiques en place, tout bords confondus».