Après plusieurs appellations telles que poésie arabe populaire ou «vulgaire», le terme melhoun s'est largement imposé pour désigner cette école poétique propre au Maghreb. L'étymologie du mot suscite le débat parmi les spécialistes. Dérivé de lahn, ce terme charrie des significations diverses. Actuellement, l'acception la plus répandue est celle de «mélodie». Le melhoun serait donc de la poésie mise en musique. L'apparente évidence de ce sens est trompeuse car, bien avant l'apparition du chaâbi et des autres genres musicaux vecteurs de melhoun, les poètes maghrébins déclamaient leurs textes sans musique. Beaucoup, à l'image de Hadj Khaled Benahmed, ne destinaient pas leurs œuvres à être chantées. Le deuxième sens de lahn est celui de «barbarisme» ou «incorrection linguistique». Le melhoun serait alors la poésie qui s'écarte des règles de l'arabe classique et de sa poésie. Cette signification, pas tout à fait dénuée de fondements, suscite la polémique. «Peut-on reprocher à un joueur de handball de jouer avec les mains et lui appliquer les règles du football ?», réplique Amine Dellaï dans son ouvrage Chansons de la Casbah. En effet, le poète melhoun ne s'éloigne pas par incapacité de la norme de l'arabe classique, qu'il maîtrise souvent d'ailleurs, mais par choix ; il obéit à d'autres normes propres à la langue et à la poésie maghrébines. Les emprunts à l'arabe classique relèvent même de l'exception dans le corpus melhoun. Nulle incorrection dans le melhoun donc. Une troisième signification, citée par Dellaï dans le même ouvrage, a trait à la dimension allusive. En effet, le verbe lahana signifie «parler avec quelqu'un un argot particulier pour n'être pas compris des autres». Quand on connaît les prodiges d'invention de nos poètes dans l'art de coder les messages (souvent métaphysiques mais aussi politiques ou autobiographiques), cette étymologie ne manque pas de pertinence. Melhoun en musiques Si le melhoun n'est pas nécessairement lié à la musique, celle-ci en est actuellement le média le plus efficace. Souvent minoré par les tenants de la culture arabe classique, cette poésie a frayé son chemin sans jamais s'éloigner de son humus populaire. En effet, l'histoire littéraire officielle enseignée à nos écoliers passe sous silence les Benkhlouf et les Ben Messaïb considérant l'âge d'or du melhoun comme une période de «décadence» littéraire. Cela n'est peut-être pas un mal car, à côté de cette marginalisation scolaire, notre poésie connaît un immense succès populaire. On l'oublie facilement mais en écoutant, par exemple, Ammar Ezzahi interpréter Ya Mohamed de Benkhlouf, nous sommes en train de nous délecter d'une œuvre poétique du XVIe siècle. Quel pays peut s'enorgueillir de voir ses adolescents apprendre de la poésie médiévale par cœur et de bon cœur ? Même le Maroc qui a poussé assez loin l'étude académique du genre, ne connaît pas le même engouement populaire. Nos voisins du royaume chérifien sont, d'ailleurs, les principaux pourvoyeurs en textes de la musique chaâbi. Mais le melhoun n'est pas porté par le chaâbi seulement, loin s'en faut. Du hawzi tlemcénien au malouf constantinois, le melhoun brille de ses multiples parures musicales. De plus, le melhoun a été apprécié et utilisé autant par les musiciens citadins que bédouins. Il faut écouter par exemple, la superbe interprétation de Hadjou Lefkar par cheïkh Hamada qui rivalise de beauté avec celle d'El Anka et des chanteurs chaabi. Même le raï, qui a connu une vogue internationale et s'accommode souvent d'une certaine pauvreté verbale, tire ses racines du melhoun. Le tube Bakhta de Khaled, par exemple, n'est autre qu'une reprise du grand poète Abdelkader El Khaldi. Bref, en Algérie, le melhoun se chante sur tous les airs et sous toutes les latitudes pour le plus grand plaisir des mélomanes et des amateurs du beau verbe.