Sésame, visa d'entrée à l'université ou encore tremplin, les adjectifs ne manquent pas quand il s'agit de définir le baccalauréat, un mot dérivé du latin médiéval bacca laurea, en l'occurrence la couronne de baies de laurier posée au-dessus de la tête qui symbolisait la réussite et la victoire. Cet examen est universel. Son nom se conjugue en différentes langues, selon le pays, et revêt une importance particulière sachant qu'il engage l'avenir de millions d'apprenants à travers le monde. En Algérie, ils sont des milliers de candidats à concourir, chaque année, pour l'obtenir. Parmi eux, se glissent des séniors, avides de créer l'exploit aux côtés des jeunes. Il s'appelle Kamel Haddad, il a 59 ans et il est le plus vieux bachelier de la wilaya de Constantine. Il fait partie de la cuvée 2014 avec une moyenne de 11,95/20. Il est de ceux que leur volonté pousse à replonger le nez dans le programme de terminale pour tenter de décrocher le fameux sésame, synonyme de réussite scolaire et sociale. Et bien qu'il ait perdu de sa valeur intrinsèque durant ces deux dernières décennies, le baccalauréat reste toutefois indéboulonnable puisqu'il constitue le plus prestigieux des examens sans lequel aucun diplôme universitaire n'est envisageable. Il est surtout perçu comme un véritable baromètre déterminant la considération dont jouit son détenteur au sein de la société. C'est pour cette raison que beaucoup de candidats libres se lancent, chaque année, à sa conquête. Mais aussi à la quête de l'estime de soi et celle de la société. Et parmi eux, il y a des postulants pas comme les autres parce qu'ils ont davantage l'âge d'avoir des cheveux blancs plutôt que des boutons d'acné à combattre. Ils n'ont plus vingt ans depuis longtemps mais leur ténacité et leur soif de réussite les incite à passer le bac pour la première fois ou même à le repasser parfois. à l'école de la vie Bien qu'ils n'aient plus fréquenté les bancs de l'école depuis des années, les bacheliers séniors ont à leur actif plusieurs atouts : le plus souvent un métier, une vie de famille mais, surtout, ils sont aguerris par… l'école de la vie et ses bonnes comme ses mauvaises expériences cumulées au fil du temps. Ils n'ont souvent rien à perdre en tentant de décrocher ce fameux diplôme, le poids des ans et des premières rides étant supérieur à celui du stress qui hante les candidats juniors, ceux-là même qui pensent qu'il n'y a pas de vie sans bac.Ces dernières années, ils sont de plus en plus nombreux à disputer les épreuves du bac. Tellement nombreux qu'à la direction de l'éducation de Constantine, les responsables n'ont pas pu nous donner un chiffre exhaustif. «Nous ne pouvons pas vous renseigner à ce sujet. Il y en a vraiment beaucoup», nous répond-on à cet effet. Les exigences et les mutations du marché de l'emploi contribuent, faut-il le souligner, grandement à cet engouement des séniors pour le bac, puisque ce dernier représente réellement l'unique passerelle susceptible d'amener ses détenteurs à destination. Pour changer de métier, exercer la profession qu'ils affectionnent ou encore accéder à un grade supérieur dans l'armée, certains séniors n'hésitent donc pas à reprendre leurs manuels scolaires, quitte à suivre des cours de soutien pour combler de vieilles lacunes. Un goût d'inachevé En dépit d'un métier qu'elle aime et qu'elle exerce depuis de nombreuses années et l'expérience qu'elle a engrangée, Abla Z. a toujours senti qu'il manquait quelque chose à sa vie, comme un goût d'inachevé. Pour Abla Z., 45 ans, le bac, c'était le rêve de toute une vie. Un défi qu'il fallait à tout prix relever et gagner ! «Je ne concevais pas ma vie sans le bac. Pour moi, c'est comme si je m'étais arrêtée au milieu du chemin. Il fallait donc que j'avance et je savais au fond de moi que ce n'était pas quelque chose d'impossible à atteindre. Je voulais obtenir mon bac plus que tout au monde et je suis fière d'avoir réussi.» Elle a décroché son bac, il y a quatre ans et poursuit avec beaucoup d'opiniâtreté des études supérieures en sciences économiques et ambitionne d'enseigner à l'université pour réaliser son autre rêve. «Je ne voulais plus me sentir inférieure aux autres parce que je n'avais pas le baccalauréat. Depuis toute petite, je caresse le rêve d'enseigner à l'université et devenir quelqu'un au sein de la société.» Aujourd'hui, au-delà de ce diplôme, qu'elle a obtenu avec courage et obstination, elle se sent plus valorisée. Comme si, en réussissant, elle aurait, enfin, pris du galon et donné un second souffle à sa vie. «Pour mes enfants» Samia B., mère de deux enfants, l'a fait elle aussi. Elle l'a obtenu l'année dernière, à l'âge de 39 ans. Elle a tenté cette aventure pour montrer l'exemple à ses filles, celui du courage et de la détermination. «A 18 ans, j'ai raté mon bac. J'étais trop abattue et choquée alors j'ai refusé de le repasser en dépit de l'insistance de mes proches. J'étais pourtant une bonne élève mais, à l'époque, je n'ai pas trouvé suffisamment de ressources en moi pour le refaire. J'ai éprouvé, bien sûr, quelques regrets au fil des années mais comme je m'étais mariée, je me suis consacrée à mes filles en veillant scrupuleusement à leur scolarité. Et c'est surtout pour elles que j'ai décidé de décrocher le bac, pour leur montrer qu'on peut réussir si nous le voulons vraiment», raconte, non sans fierté, cette maman qui s'est inscrite à la faculté de droit. Pour elle, au-delà des études supérieures qu'elle poursuit actuellement et du diplôme qu'elle aspire à obtenir, c'est essentiellement la fierté de son entourage – celle de ses filles en particulier — qui la propulse quotidiennement sur les cimes du bonheur. Qu'ils aient 30, 40 ou même 60 ans, les bacheliers séniors ont tous comme dénominateur commun un inextinguible besoin de réussite, lequel passe obligatoirement par l'obtention de leur baccalauréat, ce «bourreau» hantant et torturant à souhait les esprits grisonnants de ceux qui en ont rêvé des années durant.