El Watan du 5 juillet a publié dans ses colonnes une série d'articles intitulés «La crise de l'été 62, des origines à la fracture…». Sous ce dernier titre, des raccourcis, des approximations et autres contrevérités regrettables appellent de ma part des éclaircissements, du moins pour la partie présentant mon frère, Laroussi Khelifa, sous un angle qui reflète des points de vue de nature polémique, exprimés par deux de ses détracteurs. Dans la livraison d'El Watan du 25 février 2007, en page 2, j'avais déjà fait une mise au point à ce sujet, en réponse au plus virulent de ses détracteurs, pensant mettre un terme à ces ergotages mal contenus. Dès lors que certaines données historiques sur cette période sont classées dans des archives encore inaccessibles, ne devrions-nous pas nous garder de tout parti pris ? Au risque de devenir des colporteurs de biographies mal contrôlées. Quant à l'article en question, pour intéressant qu'il soit par son côté journalistique, il ne présente pas moins des scènes montées comme dans un scénario de fiction, où le côté volontiers anecdotique de l'histoire semble prendre le pas sur la vérité historique. Est-il besoin de rappeler que l'histoire qui n'est pas écrite sur la base de recherches approfondies, de confrontation de documents, d'événements et de faits historiques, ou à tout le moins à travers des témoignages contradictoires des hommes, s'apparenterait à de la compilation historisante… Et dans ce cas, on ne parle plus d'histoire, mais de petite histoire. A. Boukhalfa commence son récit ainsi : «Pour la petite histoire, il convient de signaler qu'un incident avait opposé les deux hommes, lors de la première réunion des Rousses où Laroussi assistait Dahlab pour les questions d'hydrocarbures… Le MAE du GPRA affirme, à ce propos, qu'il (Laroussi, nd l'auteur) nous avait fait dire des bêtises, ce qui permit au négociateur français de nous tourner en dérision…» Quant à Boussouf qui se fait «téléphoner» par un Dahlab en colère, exigeant de lui le retrait de Khelifa des pourparlers, l'histoire n'a pas encore dit qu'on pouvait lui parler sur ce ton (à la rigueur les deux autres «B», et encore) pour croire à une fable aussi simplette. N'eût-il pas été plus judicieux, pour placer ces propos dans leur contexte historique véritable, de fouiller davantage et de ne pas se contenter des déclarations de Saâd Dahlab (dont A. Boukhelfa reconnaît que c'était un polémiste né) pour savoir quelle est la nature de cette «bêtise» qui ne figurait pas dans le rapport présenté au CNRA, pas plus du reste que les exigences formulées à Boussouf par Dahlab au sujet du retrait de Khelifa ? Par ailleurs, il n'est fait nulle part mention des raisons pour lesquelles Laroussi Khelifa avait lancé en direction du nouveau MAE : «Vous êtes en train de brader les richesses pétrolières de l'Algérie.» En tant que frère du mis en cause et de par mon travail d'ouvrier de la plume, je n'ai pas la prétention de connaître le contenu du PV de cette réunion, en revanche j'ai connaissance de la version de Laroussi Khelifa et son refus de se livrer, de son vivant, à toute polémique avec ses détracteurs dont certains, sans sourciller, se livrèrent à des arguties de mauvaise foi et à des mensonges éhontés. La thèse défendue par Laroussi tournait principalement autour de la récupération des richesses du sous-sol et également et surtout des pipelines, de la commercialisation, de l'association pleine et entière de l'Algérie aux permis de recherche entre les mains de sociétés françaises, etc. ; questions qui ne seront pas réglées avant le 24 février 1971, soit 9 ans après la proclamation de notre indépendance, avec la prise de participation à 51% par l'Etat algérien… Et non de la nationalisation du pétrole, comme les Algériens ont tendance à le croire encore à ce jour : «Ta'mim el pétrol»... Bien sûr, à chaque réunion, la partie française éprouvait le besoin de faire monter les enchères en pinaillant notamment sur des chiffres en rapport avec certains investissements, ce qui est de bonne guerre, auxquels S. Dahlab donnera une résonance autant disproportionnée qu'anecdotique… Ainsi, M. Boukhalfa se fait l'écho de ces véhémentes diatribes contre Khelifa et celui-ci est présenté comme «un ingénieur agronome promu sous-préfet par l'administration française»… oubliant (ou ignorant ?!) que cet intellectuel pur jus comptait parmi les quelques rares scientifiques algériens de l'Algérie en lutte pour son indépendance, avant d'être nommé directeur de l'Ecole des cadres puis directeur de cabinet du MALG. En effet, en tant qu'ingénieur agronome, il fut directeur des études à l'Ecole d'horticulture à Versailles puis il obtint en France (Bordeaux, Sorbonne, etc.) une licence es sciences et plusieurs certificats de chimie générale, biochimie, physiologie, outre un stage de sous-préfet hors cadre ; sujet sur lequel j'aurais sans doute l'occasion de revenir un jour... Il faut savoir également que le choix des délégués aux négociations, de même que celui des candidats à l'Exécutif provisoire en 1962, fut généralement conditionné par l'aval des deux parties. A cet égard, la partie française mettait généralement des préalables subtils à la participation aux pourparlers de certains Algériens bien bardés, même si la porte aux compromis restait ouverte… En vue de la conférence des Rousses de février 1962, concédons à M. Boukhalfa que Laroussi Khelifa, en phase totale avec les positions de l'EMG dirigé par Houari Boumediène (ce qui le mettra en porte-à-faux vis-à-vis de son patron Boussouf), avait fait des points évoqués plus haut une priorité et un objectif d'une impérieuse nécessité, après des échanges avec son ami Enrico Matei, alors président de l'ENI. Cela dit, M. Boukhalfa aurait dû agréger les équations précitées pour comprendre le pourquoi de la désignation de Laroussi Khelifa à la tête du ministère de l'Energie et de l'Industrie (et non en tant que ministre du Commerce, comme avancé par A. Boukhalfa) dans le premier gouvernement de l'Algérie indépendante. En fouillant un peu plus, il aurait eu également la confirmation qu'en tant que député de la première Assemblée algérienne, les pairs de Laroussi l'élirent président de la commission agriculture et industrie, jusqu'à sa démission du gouvernement en 1964. Il ne faut pas se méprendre sur le niveau et le courage des députés de l'époque (beaucoup étaient des baroudeurs) qui ne craignaient personne pour dénoncer la «bêtise», si tant est qu'elle existât réellement... Notons qu'une volonté unanime se dégageait à l'époque en vue de la récupération de nos richesses, mais les voies et les moyens différaient en fonction du niveau de connaissance du dossier par les uns et les autres... Ce fut du reste une des raisons qui conduisit à la démission de Laroussi Khelifa du gouvernement, après un désaccord avec A. Ben Bella, notamment au sujet du timing pour la renégociation de la question pétrolière en prévision de laquelle mon frère créa Sonatrach en 1963, comme instrument de concrétisation de l'option politique précitée. C'est finalement après le renversement de Ben Bella que les Accords d'Evian sur les hydrocarbures seront révisés par Boumediène, une première fois en 1965 et une seconde fois en 1969, avant l'avènement de février 1971…