Incontournable oasis de savoir au centre de la ville d'Alger, la librairie des Beaux-Arts rouvre enfin ses portes. Le 28 rue Didouche Mourad est de nouveau empli de livres, pour le plus grand plaisir des lecteurs. Les fermetures successives de cette librairie n'ont pas manqué de susciter un mouvement de soutien de la part des habitués et des intellectuels. Un soutien largement relayé par la Toile et les médias. Son ouverture, au début de l'été, est par contre passée presque inaperçue. Réveillés de la léthargie de ce torride mois de Ramadhan, les Algérois se rendent compte de l'ouverture de cette librairie emblématique de la capitale. Le petit espace est sobrement et intelligemment aménagé, tout en blanc avec des étagères le long des murs. Le sous-sol est consacré à la littérature de jeunesse, tandis que la place de choix est réservée à la littérature générale et aux sciences humaines. On y trouve notamment les dernières parutions des éditeurs algériens, ainsi qu'un bon nombre de beaux livres consacrés à l'art et à l'histoire. Suite aux péripéties qu'a connues la librairie depuis 2009 pour cause de désaccord entre les propriétaires et le gérant de l'époque, elle a connu des fermetures épisodiques avant d'être reprise cette année par le couple Soal. Fatiha Soal gère également la librairie Kalimat, au Boulevard Victor Hugo, et Mustapha Soal celle des Arts et des Lettres, située au Val d'Hydra, dont les Beaux-Arts devient une annexe, tout en gardant son nom, témoin d'une tranche d'histoire. Fondée dans les années 50', la librairie des Beaux-Arts est indissociablement liée à la figure de Vincent Grau, appelé simplement «Vincent» par les clients qui l'évoquent aujourd'hui encore, vingt ans après sa disparition. Cet homme aura su faire de ce lieu somme toute exigu un carrefour des Lettres. D'Albert Camus à Tahar Djaout en passant par Mouloud Mammeri, tout ce que la littérature algérienne compte de grands noms est passé par ce lieu pour des ventes-dédicaces ou des débats littéraires. Le parcours de Vincent est brillant mais la fin tragique. Le 21 février 1994, Vincent est assassiné dans sa librairie. Cet homme qui a choisi de participer à la vie de l'Algérie indépendante compte parmi les martyrs de l'obscurantisme. C'est dire si la fermeture de cette librairie était lourde de sens. Après avoir défié la menace intégriste, l'établissement tente de résister au consumérisme sauvage des fast-foods et boutiques de vêtements chinois.