Les nouvelles dispositions financières relatives aux importations se sont négativement répercutées sur le marché parallèle de la devise à Annaba. Des 3980 importateurs initialement inscrits, il n'en reste plus que 483 dans la région est du pays. Très florissant été comme hiver les précédentes années, ce marché semble marquer le pas. A de rares exceptions formées des habitués du transfert illicite de la monnaie via les frontières terrestres, maritimes et aériennes, le change parallèle n'intéresse plus que les voyageurs où des immigrés dans le besoin urgent de liquidité étrangère ou nationale. Les rues El Kods, Ibn Khaldoun et la gare ferroviaire à Annaba sont le point de chute par excellence des "échangeurs". Trois lieux que les « gros clients » évitent, privilégiant l'anonymat des contacts téléphoniques et les rendez-vous dans les magasins ou appartements "sûrs". Quotidiennement, l'équivalent de 50 millions de dinars change de mains dans un sens comme dans l'autre. Cette masse importante de billets de banque était 3 fois plus importante les précédentes années où l'euro malgré sa hausse constituait la monnaie la plus privilégiée au détriment du dollar américain. La baisse du premier, aujourd'hui échangé à la vente pour 94 dinars et 93 à l'achat, la tiédeur du marché, qui ne serait plus attractif, a entraîné le désintéressement des jeunes cambistes qui avaient choisi cette pratique illicite pour vivre. Place forte du trafic de la devise à grande et petite échelle, Annaba compte quelque 350 cambistes qui n'ont d'autres compétences que le suivi régulier du cours des changes. En contrepartie d'une commission calculée en fonction de l'importance de l'opération de change, ils hantent, numéraires et portable en main, la rue Ibn Khaldoun à quelques pas d'un commissariat de police. "Change ! Change !" crient-ils à haute voix, assis sur une chaise ou debout, à qui veut les entendre, y compris les policiers en tenue. Ceux qui les alimentent en monnaie nationale et étrangère n'apparaissent pas. Ils ne le font que lorsqu'ils sont sollicités par portable tout en s'assurant préalablement, via des lièvres également rémunérés, que la voie est libre. "Ma rémunération est fonction de l'importance de l'opération de change. J'arrive quotidiennement en moyenne à percevoir 1000 à 50.000 DA. J'arrivais à échanger jusqu'à l'équivalent de 1 million de dinars", avoue Mohamed d'à peine 18 ans d'âge mais maîtrisant parfaitement son rôle de cambiste. Tout en parlant, ce jeune aux yeux malicieux et très vifs d'un niveau d'instruction tout juste moyen, manipulait adroitement une liasse de billets de banque de 130.000 DA qui glissaient comme de l'eau entre ses doigts très agiles. La trentaine, Fethi, un autre cambiste de dimanche, est amer dans ses expressions. Il parle de l'exploitation forcenée des jeunes par de gros bonnets du marché parallèle de la devise. "On cite leur prénom mais on ne les voit jamais. Pour les transactions avec les cambistes, ils utilisent des intermédiaires. Ces derniers partagent la tchippa avec les cambistes. Comparativement au franc suisse, la couronne et le dollar, l'euro est le plus demandé", explique Fethi qui dit avoir laissé tomber ses études universitaires pour s'adonner à cette pratique. Il n'est pas seulement cambiste, il se qualifie de dealer tout type de drogue et psychotrope, trafiquant d'or, faussaire et usurpateur d'identité. "J'interviens également au niveau de la banque pour aplanir les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les postulants au change bancaire qui n'ont même pas à se présenter", avoue t-il. Il poursuit : "Outre l'équivalent de change, chaque postulant devra verser au moment du dépôt de son passeport un montant de 1000 dinars, 500 pour l'agent de banque et 500 pour moi. Les complicités sont à tous les niveaux y compris aux postes frontaliers où l'on n'éprouve aucun problème à cacheter les passeports pour une sortie entrée fictive sans avoir même à payer la quittance touristique. Nous avons eu à utiliser des passeports de personne décédée". Dans ces 2 rues Ibn Khaldoun et El Qods se côtoient dans une parfaite entente tous les trafiquants. C'est aussi le lieu de rendez-vous des usuriers tout aussi riches et avides que les gros bonnets du marché parallèle de la devise. Mohamed, tout aussi jeune que les cambistes, est leur intermédiaire. Comme eux, sa rémunération est fonction de la transaction réalisée. Elle varie de 2000 à 5000 ou de 30.000 à 50.000 dinars/jour. Le prêt de l'usurier est accordé au taux d'intérêt de 30%. Le bénéficiaire doit préalablement se soumettre à des conditions draconiennes inscrites sur contrat notarié. Le prêteur ne peut s'y soustraire sans risque de poursuites judiciaires, un accident ou autres représailles. "Ces usuriers prêtent des sommes de plusieurs milliards à ceux dans le besoin pour peu qu'ils présentent de solides garanties. Ce sont ceux là et les bonnets du marché parallèle de la devise que la police doit cibler et non les petits intermédiaires que nous sommes", a-t-il affirmé. Du côté des services de police judiciaire, l'on argumente la multiplication des rondes pour traquer les animateurs du marché parallèle de la devise. L'on avance aussi les statistiques des saisies opérées et des poursuites judiciaires engagées contre les auteurs. C'est une de ces saisies qui serait derrière le récent assassinat d'un policier par un des cambistes de la rue Ibn Khaldoun. Le démenti du Crédit populaire algérien (CPA) est catégorique quant à l'implication de ses agents dans le trafic des passeports destinés au change. "Les opérations d'allocations touristiques ou droits de change ont sensiblement baissé. Je rejette toute idée d'implication de nos agents dans une quelconque opération de change aux guichets de notre banque. Ce ne sont que pures affabulations", a précisé un des responsables de cette banque.