Ce coup de filet aurait été rendu possible après la reddition de “repentis”. L'un d'eux serait un “émir” du GSPC ou du moins un membre important. Malgré la discrétion qui a entouré l'affaire pour des raisons évidentes d'efficacité, disent les services de sécurité, on apprend que des dizaines de personnes, dont certaines sont liées au commerce international, ont été interpellées dans la wilaya de Tébessa. Trente-deux d'entre elles ont été présentées au parquet et écrouées, tandis que de nombreuses autres sont maintenues en garde à vue. Un richissime homme d'affaires, dont les relations avec les “hautes sphères” sont de notoriété publique, a été transféré vers Alger. Aucune information n'a filtré sur sa destination. Ce coup de filet aurait été rendu possible après la reddition de “repentis”. L'un d'eux serait un “émir” du GSPC ou du moins un membre important. Rappelons que la wilaya de Tébessa a connu, à maintes fois, notamment dans ses parties sud et ouest, plusieurs cas de soutien au GSPC. De nombreux citoyens ont été condamnés pour avoir apporté aide et soutien matériel aux groupes islamistes armés. Vivant dans des zones rurales, souvent disséminées et habitant au pied des massifs montagneux, ces populations se disent prises en étau entre les forces de sécurité et les terroristes qui sont généralement leurs propres parents, tout comme les groupes de légitime défense qui les affrontent. Le soutien dont ils ont rendu compte et pour lequel ils ont purgé des peines de prison, conformément à la loi, a consisté notamment à héberger les islamistes armés, bon gré mal gré, dans de pauvres gourbis. Ce qui est loin d'être le cas des autres formes de soutien, patenté dans cette région, où des hommes d'affaires, spécialisés dans l'import-import, apportent une aide plus que substantielle, en argent sonnant et trébuchant, voire même en bonnes devises étrangères au GSPC. Dans ce cas, les motivations ne sont plus les mêmes mais sont dictées par des conditions endogènes, liées à la grande contrebande et imposées par un GSPC omniprésent aux frontières algéro-tunisiennes. Profitant de la proximité de celles-ci et découlant tout naturellement des effets pervers d'une absurde réglementation, une contrebande gigantesque et tentaculaire allait s'installer durablement dans la région. Des centaines d'importateurs, dont la quasi-totalité était composée de prête-noms, allaient inonder le marché algérien de véhicules de tous genres, de produits industriels et alimentaires de toutes provenances et de friperie. Seuls les armes et les explosifs, malgré l'extraordinaire flux de marchandises, allaient être bannis du trafic, dans ce côté-ci des frontières algériennes, contrairement au sud et surtout à l'ouest du pays. La Tunisie avait, de toute évidence, passé un “deal” avec les parrains de la contrebande, le GSPC en l'occurrence. La Tunisie allait devenir le pays de transit de marchandises de contrebande évaluées à des centaines de millions de dollars. Une manne pour ce petit pays. Le trafic, en sens inverse, du kif vers la Libye et l'Egypte allait être l'objet d'un autre “deal” mais c'est là un autre sujet. Cette manne qui a, de surcroît, l'avantage pour la Tunisie d'être informelle, donc non prise en compte dans la comptabilité des échanges entre les deux pays, est rendue possible par l'acheminement de marchandises vers l'Algérie, non pas par les postes de douane, mais en grande partie par des chemins détournés, supposés être gardés par un autre corps constitué. Une convention bilatérale entre les deux pays existe pourtant ; elle est censée mettre en place un dispositif de coopération pour que les autorités algériennes puissent avoir une connaissance exacte et quantifiée de toutes les marchandises qui transitent par la Tunisie. Cette convention est vite mise au rencart et définitivement oubliée. Une fois ces marchandises entrées en Algérie, toujours de nuit, après que les “droits de péage” eurent été payés à qui de droit, elles sont convoyées par route mais aussi par monts et par vaux. Elles ne pouvaient ne pas tomber entre les mains du GSPC qui infeste cette partie de la wilaya. Il fallait donc payer la dîme, acheter le droit de passage. Toutes les conditions furent négociées. Le GSPC devint, ainsi, un partenaire obligé mais à part entière de cet immense trafic. L'attaque du poste frontière tunisien de S'raï, il y a quelques années, ou l'enlèvement rocambolesque du sénateur Boudiar sont des incidents de parcours d'une relation fructueuse mais tumultueuse entre plusieurs parties dont celles que nous pouvons identifier maintenant sont les services de sécurité tunisiens, les trabendistes algériens et le GSPC. Il n'en demeure pas moins que cette activité florissante allait générer d'immenses profits, en dehors de tout contrôle de l'Etat qui allait se contenter de poursuivre des prête-noms insolvables et qui s'étaient compromis dans des opérations d'importations régulières au profit de partenaires occultes. Ils avaient, après une période prospère de villas cossues et de Mercedes phares ronds, accumulé des sommes faramineuses dues au fisc. Ils allaient disparaître comme ils étaient apparus, rentrer dans le rang des misérables, après avoir connu le plaisir des conduites intérieures, des “tébrihate” et des virées mémorables. Il n'en subsiste aujourd'hui qu'une centaine restée plus ou moins opérationnels. Mais les capitaux générés étaient bien là. Ils ne pouvaient pas être “consommés”. Certains investissements assez intéressants furent réalisés ici et là. Des placements en Tunisie aussi. En association avec des Tunisiens proches du pouvoir de leur pays, bien sûr. Mais pour tous ces nouveaux riches comme Crésus, comme pour le GSPC, il fallait trouver un moyen de faire sortir tout cet argent et le convertir en devises étrangères. Un procédé tout simple, très efficace et déjà éprouvé, dans un passé récent, par d'autres milieux, fut adopté. Avec la complicité de personnels de la douane, des banques, des ports, de transitaires, les détenteurs de capitaux allaient faire transférer vers des comptes bancaires à l'étranger, des centaines de millions de dollars, des années durant sous le couvert d'importations de marchandises. En fait l'argent sortait bien mais sans contrepartie en marchandises, bien que les documents officiels ou contrefaits soient produits. C'est ce que la presse intitulera “l'affaire des fausses domiciliations, ou les domiciliations frauduleuses”. Le dossier est cousu de fil blanc. L'arnaque aurait due être éventée depuis longtemps. Il n'en fut rien, car entretemps, par “l'odeur alléchés”, d'autres milieux de la mafia politico-financière avaient rejoint la filière. Il devenait très dangereux de fourrer son nez dans ce guêpier. Mais le pot aux roses fut tout de même “découvert” et l'opinion publique allait savoir, médusée, que ça “se passait comme ça chez Mac Donald…” Ce furent des arrestations en série, des présentations devant le parquet de Sidi M'hamed, des fuites à l'étranger de prétendus “gros importateurs”, en fait du menu fretin. Bizarrement, après beaucoup de gesticulations, l'affaire qui allait s'estomper dans des limbes confuses, sous le prétexte du secret de l'instruction, allait s'éteindre doucement. L'opinion publique en aura pour ses frais et restera sur sa faim… Comme d'habitude. Le coup de filet dans les réseaux de soutiens à Bir El-Ater et ailleurs dans la wilaya de Tébessa coïncide étrangement avec l'identification et l'interpellation de plusieurs membres du GSPC en Europe. Rappelons que certaines informations, comme celles de notre confrère feu Beliardouh, ont fait état de la préparation par le GSPC d'attentats en Europe. Celles-ci ont-elles été prises au sérieux ? Les réseaux de soutien au GSPC, c'est un fait avéré, se sont acoquinés à de “hautes sphères”. Ils ne seront pas faciles à démanteler. D. E. B.