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Un lieu, une histoire
AMSTERDAM
Publié dans El Watan le 17 - 07 - 2006

Le tramway jaune descendit à l'allure d'un vieux tortillard la courte côte du pont qui enjambe le canal Princegracht, marqua un premier arrêt, repartit cahin-caha sur une centaine de mètres et vint s'immobiliser dans un méchant crissement de freins en plein milieu de la place.
Ses cabines se vidèrent presque entièrement de leurs voyageurs qui s'égaillèrent dans toutes les directions à travers l'agora. Le ciel, couvert, aidait les arbres touffus à donner plus d'éclat aux lumières qui s'échappaient des devantures des commerces, des terrasses des restaurants et des cafés-bars. L'atmosphère avait quelque chose d'irréel : la nuit était assez avancée mais le jour, refusant de mourir, dispensait encore une lueur amoindrie mais persistante. Tout juste en face de l'arrêt, à même le sol, étaient disposés en deux arcs de cercle parallèles des instruments de musique. Un homme rondouillard, aux longs cheveux crépus tombant en d'innombrables tresses, s'affairait à accorder une basse en laissant s'échapper des notes désordonnées que personne n'écoutait. Un bourdonnement diffus, mêlant conversations, rires de gorge et bruits de moteur emplissait l'air presque chaud. Il était près de 22 h en ce 21 juin d'une année qui aura été jusque-là favorisée par un climat exceptionnellement doux et lumineux. C'était assurément en septembre dernier que je me suis arrêté ici pour un spectacle de pantomime. L'artiste, seul comme le sont souvent ses congénères, s'était dépensé comme un beau diable. Il était en nage et la sueur a sérieusement malmené les fards de son déguisement. mais lorsqu'il passa à la ronde son chapeau, ses pas semblèrent encore plus alertes comme s'il voulait dire : ne donnez quelque chose que si vous le voulez bien et si la représentation que je viens d'exécuter a été à votre goût. Ici on se sent bien dès les premiers instants, une fois le regard ayant embrassé, en un tour circulaire, la totalité des lieux. Il y a quelques semaines, ce furent ces chapelières qui obligèrent les passants à marquer une pause dans leur course à travers la ville. Elles étaient une bonne dizaine. On reconnaissait rapidement en elles ces solides matrones descendues des vertigineuses hauteurs des Andes. Les couleurs chatoyantes de leurs robes de laine, le feutre de leurs coiffures arrondies, leurs traits burinés par le soleil et le froid des altitudes andines dévoilaient une provenance sentant le lama et la vigogne. Et, si l'on avait un petit doute sur ses souvenirs, les sonorités suaves si caractéristiques de la flûte de la Cordillère et la mélodie des chants exécutés en cœur se chargeaient de rafraîchir les mémoires oublieuses. Au milieu de la troupe, un gros tas de chapeaux-melons en feutre que les matrones-chanteuses avaient pour tâche de terminer en ajoutant doublure et ruban. Les couvre-chefs, finis en un tournemain, allaient s'exposer sur une natte à la convoitise des badauds.
Un cours des miracles
Parfois, l'effet de surprise est total : il ne peut en être autrement lorsque l'on tombe au milieu de la journée sur une queue-de-pie impeccablement repassée, noire à souhait et surplombée d'une jeune tête blonde chevauchant le tabouret d'un authentique piano à queue. De la bonne musique de chambre là, assez loin du Concertgebouw*, mais à quelques dizaines de mètres seulement des portes du théâtre municipal et du Melkeweg, voilà qui n'est pas du tout commun. Il est vrai qu'il faut venir ici en cet endroit quelque peu déroutant pour se donner le plaisir d'écouter un récital dans des circonstances aussi peu ordinaires. Ma mémoire cessa de vagabonder sur les innombrables images qui me viennent de cette esplanade lorsqu'elles fusèrent subitement, douces et caressantes mais tellement insistantes qu'elles se distinguèrent instantanément du bruit de fond. D'abord les volutes semblèrent entrer en compétition avec le brouhaha ambiant. Cela ne dura qu'un bref moment. Elles le submergèrent finalement, lorsque la basse et le saxophone se donnèrent la réplique dans une amorce flamboyante. Le bourdonnement qui emplissait l'air baissa d'intensité pour se muer en un faible murmure : le peuple de l'agora dressait l'oreille. Lorsque la basse reflua et que la trompette prit le relais du saxophone, les cliquetis des couteaux, des fourchettes et des cuillères, comme saisis d'une irrésistible pudeur, se turent tous. Des raclements de chaises qu'on repoussait apportèrent quelques discordances, vite réprimées par des shuuut désapprobateurs. Les convives changeaient de position ; tout le monde tenait à se retrouver face à la scène improvisée sur une partie de l'esplanade. Les passants s'approchèrent. Un seul musicien, un Vietnamien certainement, à moins que ce soit un Khmer ou un Thaï, occupait le premier rang. Passant du saxophone au dulcimer, c'est également lui qui, avec une virtuosité époustouflante, arrachait de puissantes envolées à la trompette. Au deuxième rang, le black rondouillard aux cheveux tressés courbait la tête vers sa basse à côté d'un immense rouquin que la nature a doté d'un ventre phénoménal. Ce dernier jouait du slide trumpet et lorsque le rythme l'entraînait, c'était un plaisir d'écouter sa musique aussi bien que de suivre l'étrange chorégraphie qu'exécutait son immense bedaine. Les notes cristallines de la guitare électrique étaient l'œuvre d'une jeune femme longiligne presque aussi grande que le géant au gros ventre. Blonde diaphane, elle affichait constamment un sourire mélancolique même lorsque sa haute silhouette tanguait dans son interminable robe comme une belle chaloupe ballottée par la houle. J'eus en ce moment le souvenir d'une autre femme. Mais quand avait-elle fait frémir la foule ici même, là où se tenaient aujourd'hui ces jeunes musiciens ? En réalité cela importe peu. Ce jour-là, un ciel à moitié dégagé alternait les tons des lumières. La fille dansait sous l'arbre et venait de temps à autre faire tressauter avec frénésie sa poitrine pulpeuse, sous le nez épaté d'un de ses admirateurs occasionnels. Elle était pieds nus mais le restant de son corps n'était pas très couvert si l'on oubliait un peu les paillettes et les petites choses de son habit de scène. La danse du ventre est extériorisation par excellence. Elle est exhibition dans tous les sens du terme : expression artistique d'une rare sensualité qui n'atteint sa plénitude qu'avec un apprentissage long et laborieux. Elle est, une fois maîtrisée, incitation sexuelle grâce au langage d'un corps qui se donne à voir indéniablement comme une offrande provocatrice. Belle était cette fille des Pharaons avec ses cheveux noirs-bleutés et des yeux pervenche. Sa croupe endiablée, sa gorge généreuse et sa hanche triomphante allumèrent un feu ardent en plein milieu de Leidsplein.
Une place universelle
La place Leidseplein, il s'agit bien d'elle, est sûrement connue aux quatre coins de la planète comme le lieu le plus décapant et le plus branché du monde. Aussi, est-elle devenue le réceptacle d'une alchimie culturelle quotidiennement renouvelée par des apports affluant des horizons les plus inimaginables. On rencontrera sur Leidseplein des funambules chinois, finnois ou togolais, des orfèvres du blues, des rockers furieux ou des aborigènes australiens et leurs étranges instruments. Ici, on est le bienvenu quelle que soit la rugosité de sa peau, les couleurs de sa religion, l'originalité de ses traditions ou l'art qu'on veut montrer. Ici, on entre sans billet, on profite du spectacle ou l'on passe tranquillement son chemin. Le black, le rouquin et la blonde aux cheveux cendrés ont déposé leurs instruments. Ne resta que l'Asiatique avec sa trompette. Mais quel virtuose ! L'homme et l'instrument ne faisaient plus qu'un pour exhaler une mélodie d'une pureté enchanteresse. Est-ce cette note prodigieuse qui montait au ciel qu'on appellerait le contre-fa dont on dit que seul Louis Armstrong était capable de la faire exprimer à une trompette ? Le musicien tournoyait. Sa trompette prenait possession de tout, emplissait tous les espaces, escaladait les façades et se lançait à l'assaut des cimes des arbres. C'est en ce moment précis que le soleil de la nuit décida, à travers une déchirure du couchant, d'incendier les nuages. Il était près de 23 h. Solstice miraculeux sur Leidsplein lorsque les rayons de lumière, réfléchis par la lourde couche nuageuse, vinrent à la rencontre de la magie du prodigieux trompettiste.
*Salle de concert la plus célèbre


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