Soixante-six chefs d'accusation de génocide, crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Les charges qui pèsent sur l'ancien président yougoslave Slobodan Milosevic sont lourdes. Il risque la prison à vie pour chacun d'entre eux. L'ancien chef d'Etat, 63 ans, est accusé par le Tribunal pénal international (TPI) d'être l'un des principaux responsables des trois conflits qui ont fait plus de 200 000 morts dans les Balkans : la Croatie (1991-1995), la Bosnie-Herzégovine (1992-1995) et le Kosovo (1998-1999). Milosevic est le premier chef d'Etat jugé par la justice internationale. Son procès est le plus important en Europe depuis le jugement des dirigeants nazis à Nuremberg, après la Seconde Guerre mondiale. Le 31 août 2004 s'est ouvert le second acte de son procès. Il avait été reporté pour la sixième fois consécutive le 19 juillet 2004. Car Milosevic refuse d'être représenté par un avocat, il assure donc seul sa défense. Or il souffre, depuis son arrestation il y a trois ans, de problèmes cardiovasculaires aggravés par la tension du procès, affirment les experts médicaux. Avant-hier, Milosevic a profité du prétoire pour transformer sa défense en attaque. Les puissances occidentales et la communauté internationale sont, selon lui, les principales responsables des dix ans de guerre en ex-Yougoslavie. Milosevic nie catégoriquement sa responsabilité dans les crimes dont l'accuse le TPI. « Cet acte d'accusation est une addition de mensonges sans scrupules et de manipulations », a-t-il déclaré. S'exprimant sans notes et s'adressant directement à la cour, il a affirmé : « Cette prétendue accusation a fabriqué ce concept unique en son genre “d'entreprise criminelle conjointe“ parce qu'elle n'arrive pas à prouver la culpabilité. » Milosevic a notamment accusé l'Allemagne et les Etats-Unis d'avoir concouru à la dislocation dans la violence des Balkans. L'Allemagne fut le premier Etat à reconnaître l'indépendance de la Croatie, prenant de vitesse, ou allant même à l'encontre de la volonté de l'UE (Union européenne) de ne pas prendre position dans ce conflit. Milosevic accuse également les Etats-Unis d'avoir soutenu l'Armée de libération du Kosovo (UCK), mouvement d'opposition armée à la politique de Belgrade. La Serbie n'a agi, selon lui, que par « légitime défense ». Il n'a cependant pas abordé le thème de Grande Serbie qui lui était si cher à l'époque, assenant que le peuple serbe avait mené une « guerre juste » contre les « terroristes islamistes » de l'UCK. La guerre contre le terrorisme lui sert d'épouvantail. Il a également tu la façon dont il avait exacerbé le nationalisme à la fin des années 1980 pour s'emparer du pouvoir en Serbie. Pas un mot non plus sur l'épuration ethnique menée par les forces serbes dans les Balkans. Milosevic s'est attaché à montrer les Serbes comme les victimes d'un complot international et non comme des agresseurs. Il dispose désormais de 150 jours pour interroger ses témoins, dont il a dressé une liste de 1631 personnes. Selon l'un de ses conseillers juridiques, Dragoslav Ognjanovic, l'ancien président veut « montrer qu'un seul conflit a eu lieu dans la région : la guerre contre la Yougoslavie menée par les politiciens de ce qu'on appelle la communauté internationale ». Milosevic invitera des experts, des proches, des victimes et des négociateurs internationaux ou ses homologues chefs d'Etat, parmi lesquels Clinton, Hans Dietrich Genscher, ancien ministre allemand des Affaires étrangères, Wesley Clarke, ancien commandant en chef des forces de l'OTAN, Schröder, Blair... Il ne veut pas de huis clos et considère que le prétoire lui servira de tribune pour s'adresser à l'opinion publique mondiale. Selon lui, les témoignages des dirigeants occidentaux vont lui permettre de mettre l'ensemble de la communauté internationale au banc des accusés. Mais celle-ci a droit à la vérité. Y a-t-il complot comme le prétend Milosevic, et de quelle nature ? Des milliers de personnes sont mortes sans savoir pourquoi.