L'endroit, ordinairement animée par les cris des étudiantes pensionnaires et les prières des sœurs, a soudainement sombré dans une mélancolie et un chagrin indescriptibles. Bien que la majorité de ses locataires l'ait quitté tout juste avant le début de la guerre, il reste encore une dizaine de filles et deux sœurs à occuper l'endroit. « Nous n'avons pas pu partir, explique Zalpha, étudiante en pharmacie. Nous avons été toutes prises de court par la guerre. Nous n'avons jamais pensé qu'elle serait aussi cruelle et aussi longue. Nous n'avons pas d'autre alternative que de sacrifier cette année nos vacances et de rester ici. » Zalpha a du mal à demeurer sereine. Sans nouvelles depuis trois jours de sa famille, qui habite un petit village au nord de Beyrouth, elle n'arrive plus à trouver le sommeil. « Mon inquiétude grandit de jour en jour. J'ai entendu aux informations que les Israéliens bombardent de plus en plus les régions du Nord, où de nombreux militants du Hezbollah auraient trouvé refuge. » Pour prendre leur mal en patience, Zelpha et ses collègues se réfugient chaque soir dans les prières. Encadrées par sœur Françoise, elles implorent collectivement le Ciel pour que le déluge de feu qui s'abat sur leur pays, puisse enfin pendre fin . Mais, c'est déjà mal parti, à en croire Raghida, une autre étudiante en commerce, qui a perdu tout espoir de retourner cet été au Liban. « Pour l'instant, je me sens forte. J'ai eu mon père et ma mère au téléphone hier. Ils m'ont rassurée que tout allait bien. Mais, en mon for intérieur, je suis progressivement gagnée par l'inquiétude. Les Israéliens feront tout pour en finir avec le Hezbollah, quitte à bombarder tout le Liban. » D'autres étudiantes s'en prennent ouvertement au chef du Hezbollah qui nous « attire que le malheur et la désolation », dit sœur Françoise. « Pourquoi nous ne pouvons pas vivre comme tous les autres peuples du monde », s'interroge-t-elle avec une nervosité apparente ? Pourquoi devrions-nous payer les choix meurtriers de Hassan Nasr Allah et tous ceux qui le soutiennent ? (Syrie et Iran ndlr). Pourquoi veulent-ils transformer le Liban en terre de confrontation et de sang, alors que leurs peuples respectifs vivent en sécurité, sans crainte de bombes ou de missiles ? Les questions de la vieille religieuse semblent emporter l'adhésion de toutes les locataires du foyer. Elles espèrent la fin de la guerre pour pouvoir retourner chez elles. Mais ce jour semble loin pour Rachida, une autre étudiante qui craint de voir Beyrouth détruite comme en 1982. « Qui va payer la reconstruction de la capitale ? Ce sont encore nous, ses habitants, pas ceux qui soufflent sur le brasier de la haine et de la dévastation. » A Paris, deux jours seulement après les premiers bombardements dans le sud du pays, plusieurs dizaines de personnes, vivant dans la capitale française, se sont rassemblées pour « manifester notre soutien et notre solidarité à nos frères et familles qui sont restés là-bas et qui vivent sous des pilonnages permanents de l'armée israélienne », disent-elles. Devant l'impossibilité de se rendre dans leur pays d'origine, de nombreuses familles ont vu leurs vacances cette année compromises à cause de la guerre. C'est le cas de Marlène, traductrice, qui ne cesse de brûler d'envie de passer l'été à Achter, son village natal situé au nord du Liban. Mais la peur d'être bloquée sur place la dissuade. « Mon cœur est déjà au Liban. Mais je ne peux pas prendre le risque d'y aller, car je ne veux pas mettre en danger la vie de mes trois enfants. » Marlène est envahie par une profonde tristesse. Elle pense que la guerre va durer de longs et pénibles jours. « Je n'arrive pas à dormir. Je pense tout le temps à mes cousins, mes voisins et à tous mes amis que j'ai laissés au village. Je ne sais pas comment ils vivent la situation maintenant. J'espère qu'ils sont épargnés par les canonnages. » Moncef est chiite. Il travaille dans une pizzeria, pas loin du quartier de Boulogne. Sans nouvelle de sa famille qui vit à Saïda dans le sud, il craint le pire, « d'autant plus que mon frère est un militant discipliné du Hezbollah. La dernière fois qu'on s'est parlé au téléphone, il m'avait dit qu'il allait rejoindre la résistance et se battre contre les Israéliens. J'appréhende le pire ». Moncef craint les affres de la guerre. Lui qui a résisté quand le Tshal est venu occuper sa région en 1982. « Mais les choses ont changé, reconnaît-il. Aujourd'hui, le Hezbollah est désigné comme un parti terroriste et le monde arabe l'a lâché, excepté peut-être la Syrie et l'Iran qui se servent politiquement de lui. C'est pour cela d'ailleurs que je n'approuve plus les choix stratégiques de son leader Hassan Nasr Allah. Et puis, la guerre ne charrie que destruction, larmes et désolation. Il est temps de trouver un accord qui satisfait les deux parties », conclut-il amèrement. En France, les séquelles de la première guerre du Liban demeurent encore vivantes dans la conscience de la communauté libanaise. Celle-ci tente de s'organiser pour porter secours à ceux qui sont piégés par la guerre de l'autre côté de la mer…