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«L'évaluation des politiques publiques n'existe plus»
Mourad Goumiri. Expert en économie
Publié dans El Watan le 20 - 10 - 2014

Dans cet entretien, l'expert en économie Mourad Goumiri évoque les différents dispositifs d'aide à la création d'emplois et de micro-entreprises. Il parle de résultats plus qu'insignifiants de l'Ansej et de la distribution de la rente pétrolière pour consolider la paix sociale. Il propose également d'installer une antenne du dispositif à la sortie de chaque centre de formation professionnelle et école d'artisanat, de chaque école polytechnique, de techniciens et d'ingénieurs et autres centres de recherche, de chaque institut supérieur, de manière à accompagner la création d'entreprises, en récompense à l'effort de maîtrise des métiers.
-Est-il possible de continuer à financer les dispositifs d'aide à la création d'emplois dans la conjoncture actuelle ?
Il faut revenir au dispositif lui-même, avant de se poser la question de son financement. Ce dispositif avait pour objectif, noble au départ, d'accompagner les jeunes dans le processus de la création d'entreprises, pour favoriser la production nationale en biens et services, jusque-là importés. Il avait pour but de faciliter les formalités et de faire tomber tous les obstacles bureaucratiques, nombreux dans notre système. Le résultat est pour le moins catastrophique, puisque nous avons abouti à une distribution rentière de ressources rares, dont 80% se sont installées dans le secteur des services et en particulier celui du transport, en traînant une explosion des importations des véhicules utilitaires asiatiques douteux, de tout acabit, inversant le but initial recherché !
Ajoutez à cela la corruption qui s'est installée à la porte du décideur central, régional et local et vous obtenez tous les ingrédients suffisants et nécessaires pour qu'une opération de cette ampleur aboutisse au chaos constaté et aux résultats plus qu'insignifiants observés. J'exclus de mon analyse les dysfonctionnements sur les différents marchés et les retombées sociopolitiques et comportementales sur ceux qui ont obtenu par «intervention» nécessaire d›accéder au Fonds et ceux qui n ont pas pu y accéder. Quant à la rente pétrolière, qui, une fois de plus, est sollicitée pour mener à bien cette opération de consolidation de la «paix sociale», dans le compartiment de la jeunesse, elle oscille en fonction des prix relatifs internationaux des hydrocarbures, qui comme vous avez dû le remarquer, viennent de passer, depuis peu, sous la barre fatidique des 90 dollars le baril... ce qui va enfin contraindre les pouvoirs publics à une meilleure allocation des ressources rares, du moins, je l'espère !
-Pour quelles solutions devrait-on alors opter pour faire face à la demande grandissante en emplois ?
La réponse à votre question est d'ordre idéologique et doctrinal. Que veut-on faire de nos enfants, des commerçants ou des producteurs indépendants ou les deux à la fois et dans quelle proportion ? Dans le cadre d'une politique de substitution à l'importation, qui à fait le bonheur des pays émergents et notamment sud-américains, il faudrait installer une antenne du dispositif à la sortie de chaque centre de formation professionnel et école d'artisanat, de chaque école polytechnique et école de techniciens et d'ingénieurs et autres centres de recherches, de chaque institut supérieur, de manière à accompagner la création d'entreprises, en récompense à l'effort de maîtrise des métiers. La modulation des fonds consentis devrait être proportionnelle aux notes obtenues durant la formation et à la qualité des projets portés par les promoteurs... Nous sommes loin du système actuel, construit autour de la proximité du pouvoir et de la rente !

-Le FMI a proposé d'affecter les subventions à l'énergie et à la création d'emplois, alors que le gouvernement est décidé à maintenir le système des subventions...
Nous n'avons pas attendu le FMI pour savoir que la subvention ne cible pas de catégories strictement définies mais s'étend à tout le monde sans distinction de besoins. Mais le problème n'est pas à ce niveau, il est nécessaire d'assurer la cohérence globale des politiques publiques définies, après qu'elles eurent été approuvées par tous les acteurs économiques et sociaux sans exclusion, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui, puisque les pouvoirs publics continuent à instrumentaliser les appareils «coquilles vides» (syndicats et patronats) dans des processus folkloriques (tripartite et bipartites, c'est selon) qui ont largement démontré leur inefficacité et leur nocivité vis-à-vis des objectifs de croissance et de développement durable.
-L'emploi des jeunes et l'évaluation des différents dispositifs seront au cœur de la conférence économique et sociale sur la jeunesse prévue en novembre prochain. Qu'attendez-vous justement d'une telle rencontre ?
Depuis plus de vingt ans maintenant, l'évaluation des politiques publiques n'existe plus dans le lexique des pouvoirs publics. Ce travail était dévolu à la commission d'évaluation du CNES, lorsque celui-ci existait encore, sous l'autorité du défunt Salah Mentouri.
De nos jours, les pouvoirs publics se contentent d'un show ubuesque qui rassemble tous les appareils représentatifs de la rente à tous les niveaux et qui a pour but de légitimer les non-décisions à prendre, pour amuser la galerie nationale et étrangère. Ceci étant dit, personne n'est dupe, aucune décision sérieuse n'est sortie ni ne sortira de cette manifestation de novembre prochain, n'en déplaise à ses organisateurs, qui en sont d'ailleurs eux-mêmes persuadés !
-Des experts proposent le lancement d'une Ansej dédiée aux start-up. Qu'en pensez-vous ?
Ce genre de propositions, à l'emporte- pièce, ressemble à s'y méprendre à un «cheveu dans la soupe». Il relève du même processus de mise en œuvre et de l'organisation de la distribution de la rente, emballée dans des concepts non maîtrisés mais qui font «updated» dans la terminologie économique algérienne. La création de start-up ne se décrète pas dans les alcôves des bureaucraties, elle relève de stratégies avec des objectifs biens définies à l'avance et avec des moyens humains, matériels et financiers, en adéquation, de manière à lui assurer une réussite optimale. C'est tout le dispositif, dans sa totalité qui est à revoir et les subterfuges et autres palliatifs, servis çà et là, n'y changeront rien ! Dans un an ou deux, les pouvoirs publics feront, encore une fois, le même constat... l'inefficacité et la nocivité du dispositif. Chiche, prenons date !


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