La plus vive inquiétude pesait encore, dans la journée d'hier, sur le sort des deux journalistes français pris en otages par un groupe islamiste irakien. L'Etat français, qui a agi avec une exceptionnelle détermination, n'ignore pas que dans ce tragique épisode, il est accompagné d'un vaste élan de solidarité internationale tant il apparaît clairement qu'à travers l'enlèvement de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot, c'est aussi le non-alignement de Paris, dans la guerre contre l'Irak, qui est d'une certaine manière sanctionné. L'objectif des ravisseurs transparaît manifestement. C'est celui de faire basculer l'opinion publique française, qui avait fait corps avec les dirigeants du pays, et l'amener à se demander si le soutien de la France au peuple irakien devait finalement être payé de retour par le rapt tragique des deux journalistes français qui faisaient leur métier en Irak. En ne libérant pas les deux otages, alors même que dans tout le monde arabo-musulman ils sont appelés à le faire sans délai, les ravisseurs soulignent chaque jour davantage que c'est la France qui est visée à travers les personnes de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot. Car, au regard de l'exigence posée par le groupe islamiste qui les détient en otages, il est permis de s'interroger sur l'urgence extrême pour la résistance irakienne d'obtenir de la France qu'elle annule la loi sur le voile islamique dans les enceintes publiques, alors que l'Irak est occupé par une coalition militaire étrangère dont la France a nettement choisi, dès le départ, de ne pas être partie prenante. C'est en cela que le calcul des ravisseurs de Christian Chesnot et de Georges Malbrunot est machiavélique tant il tend à produire des effets multiples. Il s'agit d'abord de susciter dans l'opinion publique française du ressentiment et de la rancune à l'égard des Arabes et des musulmans, ensuite de culpabiliser les autorités françaises par rapport au choix fait de ne pas s'engager d'une manière ou d'une autre dans la guerre contre l'Irak, enfin le but recherché est de disqualifier les résistants irakiens assimilables dans ces instants dramatiques à des bandits de grand chemin qui enlèvent et exécutent, ou menacent de le faire, d'innocentes victimes prises au piège de la boîte de Pandore qu'est devenu l'Irak. Dans tous les cas de figure, il y a lieu de se demander à qui profite l'enlèvement des deux journalistes français et qui tirera les dividendes de la crise profonde qui en a résulté au plan international. Car, entre ce qui est apparent et ce qui est caché dans cette affaire, il est permis d'imaginer que c'est un scénario qui ne doit peut-être pas au hasard.