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«La société algérienne traverse une véritable crise sociale» Noureddine Hakiki. Professeur de sociologie et directeur du Laboratoire du changement social à l'université d'Alger 2
- La violence urbaine est devenue très courante dans notre société. Quelles en sont les causes ? La société algérienne traverse, aujourd'hui, une véritable crise sociale accompagnée d'un désordre général. Avec l'évolution de la société et l'affaiblissement des valeurs, qui permettent à l'individu de se sentir intégré dans sa société, il y a une défaillance de l'inclusion qui est déplorée dans la société. Dans une sorte d'individualisme et d'égoïsme, l'individu ne se sent plus inclus dans sa société et encore moins concerné par ce qui s'y passe. Dans ce constat, un nouveau terme est apparu qui est «le décrochage». L'être social algérien se décroche des normes, des valeurs et des lois. Parce qu'il ne veut pas entrer dans la conformité, il entre, inconsciemment, dans un processus de rébellion. Il se rebelle, sans aucun motif valable, à tout. Il ne sait plus bénéficier de ses droits sans la violence. Face à tout cela, il y a aussi une défaillance dans les mécanismes de l'ordre et le pouvoir n'a plus de pouvoir. A commencer par la petite famille où les parents, surtout le père, sont démissionnaires jusqu'à arriver aux hautes instances de l'Etat. - Il y a quelques jours, une jeune femme a tué froidement et avec préméditation une jeune maman et ses deux petites filles. Quelle est la lecture que l'on peut faire de ce crime ? D'abord, il faut identifier cet acte. Est-il un crime ou une rébellion ? S'il est vu en tant que crime, il est condamnable à 100%. En tant que rébellion, cette femme qui est aussi une «décrocheuse», n'a pas trouvé de moyen pour bénéficier de ses droits, à part la violence. L'acte criminel de cette femme est la traduction réelle du désordre social, notamment celui de l'institution du mariage, souvent irrationnel, et de la famille. - La violence a gagné également les établissements scolaires et les campus universitaires. A Oran, un étudiant a égorgé son professeur à l'intérieur même de la fac. Qu'en est-il de cet aspect de la violence ? Même l'université traverse une crise pédagogique et morale. L'enseignant a perdu cette image intouchable, au point que l'étudiant ne connaît plus ses limites et se permet des excès de violence pareils. - Y a-t-il eu des prémices pour cet état de désordre ? Oui. La frustration et les perturbations de notre société, majoritairement jeune, ont été une introduction directe à cette crise. La fausse conscience de la société, la notion perdue du vivre-ensemble, l'acquisition des biens en dehors de l'institution du travail et les faux modèles de consommation le sont aussi. La démission du pouvoir, qui cède à la rébellion en augmentant la rente, y est aussi pour beaucoup dans le déclenchement de cette crise. - Du point de vue sociologique, que faut-il faire ? Il faut d'abord remettre de l'ordre dans la société. Dans le noyau même de la société, le père doit réintégrer son poste de premier responsable de la famille et exercer son autorité. Dans un contexte plus global, le pouvoir devra rétablir son autorité dans la légalité et la justice, en appliquant réellement la loi. Pour récupérer tous ces jeunes exclus des établissements scolaires et leur ouvrir une autre porte pour la réussite, il faut absolument créer l'école de la 3e chance. Il est aussi impératif de réactiver les associations et les clubs sportifs et surtout créer un observatoire national de la violence et du crime. Il permettra de suivre de près ce qui se passe dans la société, d'en tirer les causes et surtout de trouver les solutions adéquates pour y remédier. Pour diminuer ces excès d'égoïsme, il est impératif d'aider les jeunes à développer leur citoyenneté et surtout ressusciter la mémoire collective à l'intérieur des familles. Connaître ses origines et s'y lier aideront à l'inclusion de individus à leur société et les empêcheront de commettre des actes violents.