Omniprésente dans toutes les Unes de la presse et alimentant toutes les discussions, la violence ne cesse de mobiliser l'attention d'une opinion publique inquiète. Face aux statistiques, la société tremble d'effroi. Alors que les sociologues restent rivés à ses causalités sociales et que les «experts» autoproclamés se perdent en conjectures sur les comportements violents qui seraient, selon eux, étroitement liés à la nature, à l'identité, voire au fonctionnement biologique de l'être humain, certains continuent à parler de fatalité biologique et de «gène de l'agressivité». En fait, toutes ces spéculations sur les chromosomes de la violence et du crime qui seraient inscrits dans certains cerveaux et pas dans d'autres, toutes ces prises de positions qui ne se fondent pas toujours sur des faits scientifiques avérés et correctement interprétés, ne sont que des préjugés d'ordre idéologique. Le constat, tristement unanime, révulse la conscience humaine : la terreur et les violences sont en constante progression et leurs caractères sont de plus en plus atroces. Certes, tous les citoyens de la planète sont aujourd'hui interpellés par ces nouveaux faits de société, quels que soient leur âge, leur sexe ou leur appartenance sociale. La réalité de la délinquance est devenue la préoccupation majeure des citoyens et des Etats. Ces dernières années, dans la plupart des wilayas d'Algérie, les comportements déviants et violents ont augmenté de manière exponentielle, atteignant, voir dépassant parfois les limites du supportable. Selon les services des urgences médicochirurgicales, la situation des personnes vulnérables (femmes, mineurs, pauvres...) est de plus en plus alarmante. Le nombre de décès et de blessés est stupéfiant. Les agressions par arme blanche, ou autre objet contondant, se multiplient, de jour comme de nuit, dans les écoles, les rues, les bus, les véhicules de particuliers et même dans les trains. En plein jour, au su et au vu de tout le monde, des agressions physiques sont commises. Les violences physiques, crapuleuses ou non (coups et blessures en plein jour, braquages à toute heure, bagarres dans les stades, harcèlement, agressions contre les femmes, violences sexuelles, viols, incitation à la débauche de mineurs, attentats à la pudeur, crimes de sang...), qui n'épargnent plus personne, sont devenues le lot quotidien de millions de gens. Les chiffres officiels avancés sont par ailleurs loin de refléter la réalité. Une partie considérable de ceux qui subissent les affres de l'humiliation et des agressions ne portent jamais plainte. La violence n'est certes pas un fait nouveau. La société entière s'interroge, tente de rechercher des solutions appropriées pour mettre fin au chaos qui prolonge la barbarie terroriste. Fragilisé par une très longue occupation barbare et une atroce guerre coloniale qui a laissé de profonds stigmates, tétanisé durant plus d'une décennie par un terrorisme implacable qui perdure par endroits, notre pays se trouve confronté à une criminalité sauvage. Longtemps circonscrits à certains quartiers, la délinquance et le banditisme atteignent, aujourd'hui, les grands centres urbains et les petites agglomérations jusque-là épargnés. Le nombre de sociétés de gardiennage et de «polices privées» qui activent au grand jour constitue un indice irréfutable. Comment expliquer cette progression massive de la délinquance et de l'insécurité ? Jusqu'à quand allons-nous tolérer que nos vies soient en permanence menacées ? Sommes-nous dans l'incapacité de désamorcer cette machine infernale ? Le combat contre ce mal absolu, qui s'enracine dans nos villes et gangrène nos cités, est-il perdu d'avance ? Véritable problème de santé publique Plus personne aujourd'hui ne conteste la nécessité d'élaborer une réponse ferme et équilibrée à la recrudescence des délits et crimes et aux nouveaux visages de la délinquance, grande et petite. L'urgence est de se pencher sur les causes spécifiques de ce malaise social qui s'enracine dans les espaces publics et privés et de réagir avec fermeté contre les cas avérés de violences au sein des cellules familiales. L'urgence est de se doter de compétences et de spécialistes avérés en la matière afin de briser la spirale de la violence. Nous sommes tous, bien qu'à des degrés divers, responsables de la situation que nous déplorons. Combien de nos comportements, de nos habitudes sont à l'origine d'émergence d'actes violents ? Au lieu d'essayer de nous débarrasser de ces maux qui provoquent le désordre et portent atteinte à nos libertés, nous nous en accommodons lorsqu'elles ne nous touchent pas de près, ou pire, lorsqu'elles servent nos intérêts. La corrélation «violence/précarité économique» est aujourd'hui une évidence. Tant que perdurent les excès de pouvoir, la hogra, les injustices et les inégalités sociales, toute mobilisation intensive des forces de l'ordre et tout renforcement de leurs effectifs et de leurs moyens matériels demeureront vains. La mise en place de politiques de sécurité implique tout d'abord que l'on tienne compte des comportements injustes envers les citoyens. Ce sont les systèmes iniques actuels, générateurs d'égoïsme, d'individualisme et d'exclusion, véritables crimes de notre temps, qui alimentent les troubles et l'insécurité dont les effets pervers mettent en péril la structure de la société elle-même. Les situations de crises politiques, les revendications sociales, l'inactivité culturelle, le chômage, l'oisiveté, la malvie constituent des paramètres importants à prendre en considération. Toute violence peut être contenue, à condition de ne jamais oublier que l'homme est, avant toute chose, un être de relations. Les violences extrêmes (urbaines, scolaires, familiales, conjugales...) que nous venons de vivre sont toutes liées à des attitudes et à des comportements néfastes et humiliants, qui blessent l'autre et portent atteinte à son intégrité physique et/ou psychique. A qui incombe la faute ? Au gouvernement, disent certains, convaincus de ce que ce dernier ne fait pas assez pour juguler le fléau dévastateur. A l'archaïsme de l'administration, qui minimise les dangers pour éviter la panique chez les citoyens. Aux services de sécurité fragilisés et non préparés à ces nouvelles formes de délinquance. Aux parents négligents ou démissionnaires qui ne s'occupent plus de leurs progénitures. A l'impunité des crimes, à la modération des peines. Au fait que même agressées ou violentées, les victimes s'abstiennent de déposer plainte auprès de la police et de la gendarmerie, au prétexte que les plaintes déposées demeurent sans suite et que les auteurs des crimes et délits, pour la plupart des repris de justice, très vite libérés de prison, récidivent. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'incriminer l'une ou l'autre composante de la société, ni de rendre seuls responsables les pouvoirs publics. La question qui se pose est on ne peut plus claire : l'Algérien, qui a mis à genoux le plus monstrueux des colonialismes et qui a su mettre fin à la plus cruelle des barbaries durant plus d'une décennie, serait-il dans l'incapacité de faire front au vandalisme ? L'urgence de la mise en place d'un grand ministère de la sécurité nationale Il ne s'agit pas seulement de répression. Sévir pour sévir est facile et cela ne résout aucunement les problèmes. D'ailleurs, lorsque la répression intervient, il est déjà très tard, souvent trop tard, pour éviter l'engrenage de la délinquance. Ce qui importe donc, c'est la prévention en agissant sur les racines qui génèrent les maux sociaux. Les débats sans fin qui opposent prévention et répression doivent être dépassés. Aucune méthode préventive ne peut être efficace sans sanction associée, et il ne peut exister de répression qui ne cherche à prévenir la récidive. La première véritable sanction que rencontre le jeune délinquant est très souvent la prison. Cette dernière s'avère être une sanction brutale, inutile et souvent néfaste. En écartant, pour un temps, le jeune de son milieu, on est loin d'apporter une solution au problème. Dès sa sortie, il est exposé à la récidive. Ces actions ponctuelles décalées par rapport aux enjeux et tardives, puisqu'elles interviennent après coup, échouent le plus souvent. La sanction du mineur doit être spécifique, adaptée, individuelle et à valeur éducative. L'absence de réponse pénale, face à des petits délits ou à des infractions considérées comme sans gravité, alimente un sentiment d'impunité chez les auteurs des faits, une impression d'abandon chez les victimes et un sentiment d'insécurité chez l'ensemble des citoyens. Il ne faut surtout pas prendre à la légère la petite et moyenne délinquance, cette nouvelle forme d'agressivité gratuite et parfois irrationnelle qui constitue le nouveau défi de notre société. D'abord parce qu'elle est le résultat d'un effacement des repères familiaux et institutionnels, ensuite parce que ces actes répondent à une banalisation inquiétante de la violence, à travers les médias, les jeux électroniques et internet, qui, aujourd'hui, sont accessibles au commun des Algériens. Ensuite, ce qui semble également urgent, c'est l'identification des jeunes en difficulté, sujets à risque. Il leur faut des terrains de sport, des piscines, des salles de cinéma, des activités culturelles, des lieux de convivialité sains. Si rien n'est fait pour baliser les repères moraux ou légaux pour prendre en charge les problèmes de la jeunesse, si aucune activité de distraction n'est prévue pour les « occuper » et faire en sorte qu'ils se sentent bien dans leur peau au sein de société, le pays ne sortira pas de la spirale de la violence. Il faut trouver le moyen d'inculquer aux jeunes le sens de ce qui est permis et de ce qui est interdit par la valeur de l'exemple, du travail et de la connaissance de l'autre. La sanction positive (récompense) ou négative (punition), indissociable de toute démarche préventive, doit être au coeur de structurations et de valorisation de la personnalité de l'enfant. L'école, tout autant que la famille, ont un rôle essentiel à jouer en matière de citoyenneté. Après avoir fait le plein de frustration (chômage, désoeuvrement, misère, malvie), le jeune, inaudible, méprisé ou malmené, bascule très vite dans les arcanes de la délinquance. L'entrée en rébellion survient et se développe à un âge de plus en plus précoce. Faute de pouvoir tourner sa colère contre l'autorité de l'Etat, il libère son potentiel d'agressivité contre les biens publics, ou détourne sa hargne et sa rogne contre les citoyens ordinaires rencontrés au hasard des circonstances. Si l'on se résout à fixer des objectifs cohérents pour rétablir l'ordre public, il est nécessaire d'organiser un débat national qui dépasse le problème de l'insécurité pour entrer sur les questions liées au management de la sécurité. Au-delà de toutes ces considérations, la mise en place d'un grand ministère de la sécurité nationale s'avère urgente et nécessaire. Gérer ce problème grave revient d'abord à assouplir la lourdeur ubuesque des procédures. Cela sous-entend également qu'il faut sortir de la culture de l'impunité. Policiers et gendarmes méritent, certes, respect et considération, mais leurs efforts demeureront vains s'ils se retrouvent seuls au front. Pour briser la spirale de violence, la collaboration de tous est nécessaire : autorité judiciaire, services de sécurité, collectivités locales, parents, citoyens, enseignants, psychologues... Tous ont, dans cette oeuvre de longue haleine, un rôle majeur à jouer dans la coordination des moyens de prévention et de lutte contre l'insécurité. Il faut également trouver le moyen d'entendre les doléances et propositions de ceux qui exercent une profession indispensable aux libertés individuelles et publiques pour fixer l'état des lieux réel à l'échelle nationale, maîtriser les difficultés, recenser les besoins en moyens humains et matériels... Un travail de longue haleine, certes, mais qui apportera ses fruits.