L'agression israélienne contre le Liban a inspiré une sortie médiatique d'Al Qaîda qui suscite bien des interrogations. La nébuleuse islamiste, par la voix de son numéro 2, l'Egyptien Aymen Al-Zawahiri, cherche à s'arrimer à un conflit dans lequel elle n'est pas un acteur d'influence. L'intervention du lieutenant de Ben Laden, à ce stade de l'évolution de la crise, n'est pas dénuée de calculs, le moindre n'étant pas celui de vouloir contester au Hezbollah son statut de seule force en mesure de s'opposer à Israël. Al Qaîda n'a pas d'emprise sur le théâtre des opérations au Proche-Orient, tant au Liban que dans les territoires palestiniens où active le Hamas. Si elle relève donc largement de la surenchère médiatique, la sortie d'Al Zawahiri peut toutefois nourrir bien des amalgames et conforter des idées reçues sur la nature de mouvements tels que le Hezbollah libanais ou le Hamas palestinien. Al Qaîda brouille à cet égard les pistes en entretenant l'illusion qu'il fait aujourd'hui cause commune avec des mouvements qui, tant au Sud-Liban que dans les territoires palestiniens, sont très éloignés de lui. Ce brouillage peut avoir la finalité d'assimiler le Hezbollah et le Hamas à la nébuleuse terroriste. Un amalgame dont voudront tirer argument Israël aussi bien que leur allié américain pour disqualifier les mouvements libanais et palestiniens de toute dimension résistante pour les réduire à des groupuscules terroristes. Un raisonnement un peu court mais qui est mis en œuvre dès que les Etats-Unis ou Israël ont besoin de faire savoir à l'opinion mondiale qu'ils sont menacés. Ce sont les Américains qui, dans la foulée des attentats du 11 septembre 2001, avaient inscrit le Hezbollah et le Hamas dans la liste des organisations terroristes sans jamais fournir la preuve de leur implication dans les attaques contre le World Trade Center. Les analystes de la situation au Proche-Orient font valoir pour leur part que le Hezbollah et le Hamas n'ont jamais mené des actions armées hors de leurs zones respectives et ne se sont à aucun moment réclamées du Djihad international lancé par Al Qaîda. La question s'est posée toutefois de savoir si les méthodes employées par le Hamas palestinien, notamment les attentats suicides, étaient celles d'un mouvement de résistance. A cet effet, le lien pouvait être établi avec les actions d'Al Qaîda et Israël ne s'est pas privé de l'établir en désignant les membres du Hamas comme terroristes. Toutefois, depuis l'amorce des années 2000, le Hezbollah libanais, comme le Hamas palestinien sont entrés dans le jeu institutionnel en participant à des élections qu'ils ont partiellement ou totalement remportées, devenant du coup des partis de gouvernements. C'est la nuance qui marque toute la différence de nature entre ces mouvements et Al Qaîda. Al Zawahiri, en s'immisçant dans l'enjeu palestino-libanais, cherche sans doute un effet d'annonce, mais au-delà, il travaille à un enracinement symbolique, au minimum, d'Al-Qaîda dans cette zone de turbulences dans laquelle on ne lui connaît pas de manifestations antérieures. Un ancrage auquel la nébuleuse islamiste n'est pas assurée de parvenir car le Hezbollah libanais et le Hamas palestinien ne lui faciliteront pas les choses. C'est un raccourci, en effet, que de croire à une collusion avec Al Qaîda du seul fait que le Hezbollah et le Hamas sont des mouvements islamistes. Ce serait oublier, par exemple, que le Hezbollah libanais est chiite, ce qui ne le prédispose pas à se fédérer à Al Qaîda dont la capacité de nuisance en Irak ne lui est pas inconnue. Al Zawahiri, de ce point de vue, nage en eaux troubles car sa sortie médiatique apporte de l'eau au moulin de tous ceux qui voient en chaque musulman un terroriste, et le contexte tragique de l'agression israélienne contre le Liban aiguise les préjugés contre les Arabes. A qui profite la surenchère médiatique d'Al Qaîda ? A ceux qui entretiennent le ressentiment, cultivent les atavismes, et en appellent à la légitimation du délit de faciès. Les Américains auraient ainsi des raisons de prendre les menaces d'Al-Zawahiri au pied de la lettre.