Les Tunisiens viennent de négocier admirablement un virage dans la construction de la démocratie et la consolidation des acquis de leur révolution. Il nous faut saluer ce sursaut politique et cette prise de conscience populaire que la Tunisie est suffisamment vaste pour accueillir ses enfants, tous ses enfants, dans leurs différences politiques et idéologiques. Ce 26 octobre restera pour la postérité un marqueur de l'évolution politique de ce pays voisin. Beaucoup craignaient que cette démocratie balbutiante en Tunisie ne tourne au vinaigre à la faveur de ce deuxième scrutin législatif pluraliste. Ils pensaient que le mouvement Ennahdha, qui a écrasé la vie institutionnelle depuis la chute de Ben Ali, pouvait être tenté par un coup de force si jamais les urnes ne lui souriaient pas. Mais c'était compter sans la perspicacité et le sens de la mesure des responsables d'Ennhadha et de tous les autres partis pour qui le sauvetage de la Tunisie est au-dessus de tous les enjeux et de tous les ego. Le mouvement de Rached Ghannouchi, arrivé en deuxième position derrière Nidaa Tounes de Caïd Essebsi a sportivement reconnu sa défaite et appelé à une coalition nationale pour remettre définitivement la Tunisie sur les rails. C'est une belle leçon d'alternance au pouvoir que les Tunisiens viennent de nous administrer. N'ayant pas vraiment réussi à amorcer un décollage économique, dans un contexte sécuritaire pas très facile faut-il le reconnaître, Ennahdha a été logiquement «puni» par le suffrage populaire. Le peuple tunisien a décidé, souverainement et sans trituration des résultats, de faire confiance au parti du vieux briscard Caïd Essebsi, comme cela se passe dans les vieilles démocraties. Au final, il n'y a eu ni vainqueur ni vaincu dans cette élection législative. C'est toute la Tunisie qui a gagné en offrant au monde l'image d'un pays stable, serein, qui découvre (et pratique) rapidement les vertus de la liberté, de la démocratie et du respect du choix du peuple. C'est cela, la moralité à tirer de cet examen de passage d'un pays qui a émergé du Printemps arabe et qui vient de réussir à déjouer les pronostics alarmistes de certains irréductibles imprécateurs. En Tunisie, le printemps commence à donner des bourgeons démocratiques que le peuple et la classe politique ont greffés depuis trois années. Et il ne sera que plus beau au fur et à mesure que l'architecture institutionnelle se mettra en place, en attendant de charpenter les acquis de la révolution par l'élection d'un président de la République au suffrage universel. Le dictateur déchu sera alors bien mort et son bilan juste le mauvais souvenir d'une Tunisie d'un autre temps. Ironie du sort, vue d'Algérie, la Tunisie paraît aujourd'hui un modèle de transition et d'alternance au pouvoir à suivre, et un laboratoire d'incubation de la démocratie que l'Algérie a cessé d'être depuis des dizaines d'années. Nos voisins ont prouvé que le changement de régime ne signifie pas forcément le chaos comme en Libye, en Egypte et en Syrie. L'exception tunisienne est un cas d'école. Abdelaziz Bouteflika, qui était un fervent admirateur du régime policier de Ben Ali, devrait se sentir dépaysé…