Dans les manuels scolaires, on ne dit donc pas encore tout sur la Guerre de Libération nationale, mais on évite au moins le mensonge flagrant. De plus en plus d'élèves refusent de se lever pour l'hymne national. Dès sa première année d'école, l'élève algérien est initié à l'histoire. Il apprend d'ailleurs à dessiner le drapeau et à «décrypter» ses trois couleurs. Même si le programme scolaire ne propose pas l'histoire comme matière à cette étape-là, l'enfant apprend que la Révolution de libération nationale a commencé le 1er novembre 1954 et que l'Algérie a payé un lourd tribut pour arracher son indépendance le 5 juillet 1962. «A cet âge-là, l'élève n'arrive pas à assimiler la signification de ces dates. On se contente de lui faire apprendre par cœur et de reformuler les phrases apprises à l'école. C'est du bourrage», explique une jeune maman interrogée devant un établissement scolaire à Alger. Il faut dire que cet «apprentissage» est facilité ces derniers temps. Les couleurs nationales bichonnées et célébrées fièrement avec les réalisations héroïques de l'équipe nationale de football contribuent à mieux traduire ce sentiment d'appartenance à ce pays. L'enfant arrive donc à se situer dans cet espace et exprime une certaine fierté, mais ne se situe pas encore dans le temps. Et il est très difficile de faire plus. C'est à partir de la troisième année primaire que l'histoire, en tant que matière à part entière, est présente dans le programme. Dans une étude publiée dans la revue Tréma, l'historien et chercheur universitaire Hassan Remaoune offre un décryptage du programme d'histoire à travers les différents manuels scolaires et la façon dont est traitée la Guerre de Libération nationale avec une comparaison entre les programmes de l'ancien système scolaire et celui issu après les réformes de 2003. (Etude disponible sur http://trema.revues.org) Histoire trop sélective A la fin de la 5e année primaire (ancien système) l'élève était censé connaître les dates et les phases principales liées à la Guerre de Libération nationale : Le 1er Novembre, l'Appel du 1er Novembre, Le Front de libération nationale (FLN), la grève générale des huit jours, les événements du 20 Août 1955, le Congrès de la Soumam, les Accords d'Evian, le référendum d'autodétermination et l'indépendance proclamée le 5 juillet 1962. Le programme propose également quelques personnalités dont Didouche Mourad, Mostefa Ben Boulaïd, Ahmed Zabana, Zighout Youcef, Larbi Ben M'hidi... Selon l'analyse de Remaoune, «les leçons sont pour l'essentiel constituées de simples légendes, commentaires, données chiffrées et statistiques accompagnant des photographies et schémas. Au CEM (3e AM), l'intégralité du programme d'histoire porte sur l'Algérie. Le manuel officiel aborde la partie de la période coloniale comprise entre 1870 et 1953, suivie de la période de la Guerre de Libération nationale (1954-1962, qui totalise 74 pages) et de celle de l'après-indépendance (30 pages) centrée sur l'activité internationale du nouvel Etat (soutien aux mouvements nationaux, rôle dans les organisations internationales et régionales, rapports Nord-Sud…). Au lycée (classe de terminale), le manuel aborde l'évolution du monde de 1945 à 1989 en axant sur la bipolarisation Est-Ouest ; la deuxième partie (68 pages) s'intéresse aux différents pays et régions du Tiers-Monde (toujours entre 1945 et 1989) en présentant les mouvements nationaux, la décolonisation et l'action des nouveaux Etats et des organisations internationales auxquelles ils participent (souvent dans un contexte de crises politiques nationales et internationales). La séquence qui va de la préparation du déclenchement du 1er Novembre 1954 aux Accords d'Evian et au référendum d'outodétermination est présentée en 45 pages (soit la moitié du total portant sur l'Algérie), note Remaoune. Pour ce chercheur, «en dehors de l'épisode de la Guerre de Libération, la profondeur historique nationale proprement algérienne est faiblement représentée et a tendance à être diluée dans une histoire du monde musulman centrée sur le Moyen-Orient. Même les luttes politiques menées contre le système colonial dans le cadre du Mouvement national sont déconsidérées et marginalisées dans l'ancien programme». «N'étaient, en fait, valorisées que l'action du Mouvement des oulémas réformistes parce qu'elle permettait de faire la jonction avec un passé islamique idyllique et les grandes insurrections armées (résistances menées par l'Emir Abdelkader et autres soulèvement tribaux et confrériques du XIXe siècle, répression sanglante lors des journées qui suivirent les événements du 8 Mai 1945), censées constituer de simples répétitions générales préparant l'assaut final», peut-on lire dans le même document. Des changements importants sont apparus dans les nouveaux programmes. Les derniers ouvrages semblent amorcer une rupture par rapport aux pratiques en cours jusque-là. Les élèves ont ainsi pour la première fois accès (en 9e AM) à une présentation «positive» des biographies de Messali Hadj (photographie à l'appui) ainsi que de Ferhat Abbas et des noms de dirigeants du FLN ayant survécu à la guerre et jusque-là tabous : Boudiaf, Rabah Bitat, Krim Belkacem, Aït Ahmed, Ben Bella, Khider, Ben Khedda, Boussouf, Ouamrane avec en sus une photographie représentant la délégation algérienne aux négociations d'Evian, «mais sans les noms !» précise M. Remaoune. «Jusque-là, nous avions affaire à une histoire à la fois héroïque et anonyme où n'étaient citées que les personnalités mortes en martyrs, ou alors pour la période antérieure à la guerre, les noms des responsables de l'Association des oulémas (avec de nombreuses citations et illustrations iconographiques représentant Ben Badis, El Ibrahimi et d'autres dirigeants)», souligne l'auteur. Abane, Messali, les communistes et autres tabous Avec les nouveaux programmes, les élèves font connaissance avec l'action des autres partis constitutifs du Mouvement national jusqu'à la veille de 1954 (PPA, MTLD, AML, UDMA, PCA), avec les photos de quelques dirigeants. Mais aussi sont resituées les origines du FLN depuis les précurseurs de l'Organisation spéciale (0S), et du comité des «22» (avec leurs photos) jusqu'aux responsables qui se sont retrouvés au premier plan, ainsi que les principales phases de l'action militaire et politique de Mouvement jusqu'en 1962, en abordant même la période de l'indépendance, souligne le chercheur. Les tabous ont la peau dure et ne sont pas tout a fait levés, explique l'historien. «La photographie de Abane Ramdane, par exemple, apparaît trois fois dans le manuel de 4e AM (à l'occasion du Congrès de la Soummam en août 1956 ou comme membre des deux comités de coordination et d'exécution qui se sont succédé entre 1955 et 1956), mais son nom n'est cité nulle part. C'est déjà mieux que dans l'ancien manuel de 5e AF dans lequel on annonçait, conformément à ce qu'avait publié El Moudjahid, qu'il était tombé en martyr à la frontière marocaine alors qu'il avait été exécuté par ses propres camarades en décembre 1957», cite-t-il, entre autres aberrations relevées. «On ne dit donc pas encore tout… mais on évite au moins le mensonge flagrant. Aucune référence n'est faite non plus à propos des Européens communistes, chrétiens et autres libéraux qui ont participé ou soutenu le FLN, souvent en y laissant la vie», regrette le chercheur.