Sophie Heidi Kam est poète, dramaturge, romancière et scénariste burkinabé. Elle est présente au Salon international du livre d'Alger (SILA) où elle assiste à des débats et à des séances de vente-dédicace de ses dernières publications. Dans cet entretien, elle revient sur ses œuvres et la situation politique de son pays natal, le Burkina Faso. -Sanglots et symphonie et Pour un asile sont vos derniers recueils de poèmes. Nos jours d'hier et Qu'il en soit ainsi figurent parmi les derniers travaux publiés sur le théâtre. Vous êtes connue par votre riche production littéraire. Qu'en est-il ? J'ai écrit, tous genres confondus, 17 livres. Je n'ai pas pu tout ramener au Salon d'Alger. Mon écriture pour le théâtre est assez engagée sur le plan politique. Il y a les dictatures, les guerres, le manque de démocratie. Mais il y a aussi l'amour comme toile de fond. Je fais évoluer mes personnages dans un contexte que l'on peut reconnaître sur le plan géographique. On peut situer les différents pays. J'ai publié quatre romans pour enfants aussi. -Vos pièces sont-elles montées sur scène au Burkina Faso ? La pièce Et le soleil sourira à la mer, qui traite de la question de l'émigration clandestine et de la dictature, a été jouée quatre fois au Burkina Faso. Elle a également été interprétée par une troupe québécoise à Montréal en ma présence. Ma première création, Nos jours d'hier, a été présentée à Njamena, au Tchad, entre septembre et octobre 2011. La pièce a été jouée par une troupe internationale au Tchad, au Cameroun et en Centrafrique et présentée au public au Festival international du théâtre et de marionnette de Ouagadougou (Fitmo). Des étudiants préparent des mémoires de maîtrise sur mes travaux. -Le Burkina Faso connaît actuellement des changements politiques majeurs. Quel commentaire faites-vous sur l'accélération des événements dans votre pays ? Tous les éléments du changement étaient déjà en place. Cela fait des années que la situation fermentait. Le président Blaise Compaoré a déjà changé la Constitution pour se représenter une nouvelle fois. Le parti au pouvoir a tenu coûte que coûte à ce que le Parlement vote une loi lui permettant de toucher à la Constitution. Cela devait avoir lieu le 28 octobre 2014. Ce jour-là, sous la pression de la rue, l'opposition et les syndicats, les choses se sont accélérées. Les marches et les manifestations ont empêché l'Assemblée nationale de voter la loi. Nous sommes dans un état de crise où tout est compliqué. La vie est chère et les gens n'en peuvent plus. -Justement, pourquoi les Burkinabés sont-ils sortis dans la rue ? Que s'est-il donc passé ? Blaise Compaoré est là depuis octobre 1987... Vingt-sept ans, c'est beaucoup ! Des jeunes qui sont nés sous ce régime n'ont pas connu d'autres pouvoirs. Quand on écrit dans la Constitution que le président de la République a droit à deux mandats seulement, le chef de l'Etat en exercice doit accepter cette règle, jouer le jeu. L'alternance au pouvoir est importante. Parfois, le peuple a besoin de sortir pour imposer sa volonté. Que cela ne vienne pas de l'extérieur ! -N'y a-t-il pas de crainte pour que l'armée s'installe durablement au pouvoir ? Nous avons effectivement cette inquiétude de voir l'armée nous voler notre révolution. L'armée n'a rien fait au moment où la population exprimait son raz-le-bol. Il a fallu que le peuple et l'opposition sortent dans la rue pour que l'armée intervienne et mette de l'ordre. Le chef de la junte militaire chez nous a dit qu'il ne s'intéressait pas au pouvoir. Un civil sera nommé et un gouvernement d'union nationale conduira le pays vers de nouvelles élections... -Justement, quel sera le rôle des écrivains, des intellectuels, des artistes dans ce processus évolutif ? Le rôle des artistes et des intellectuels a été de booster l'action, soutenir le moral de ceux qui étaient encore hésitants, qui ne voulaient pas s'engager et qui craignaient que l'armée ouvre le feu sur les manifestants. Si nous voulons, nous pouvons changer notre destinée et interdire que la dictature perdure. Les artistes et les intellectuels ont participé à ce débat pour encourager en donnant des arguments, proposer des solutions et donner une orientation au mouvement pour pouvoir mener cette révolution jusqu'au bout. Les intellectuels disent aujourd'hui qu'il faut être vigilants parce que l'armée peut nous confisquer notre révolution.