Les auteurs africains sont en colère. Ils sont révoltés par l'état actuel de l'Afrique. Corruption, virus, trafic d'armes, répression, migration clandestine, vol des richesses, spoliation, mauvaise gouvernance, détournement, fausses rebellions, terrorisme…Tous les mots ne suffisent peut-être pas pour «composer» le puzzle africain actuel. Au 19e Salon international du livre d'Alger(SILA), qui s'achève aujourd'hui au Palais des expositions des Pins maritimes, des écrivains du continent se sont retrouvés au stand Panaf' pour parler, crier, dénoncer, analyser ce qui se passe actuellement dans le continent le plus pauvre et le plus riche. Assis autour de l'écrivain et journaliste mauritanien Bios Diallo, Sophie Heidi Kam du Burkina Fasso, Djaïli Amadou Amal du Cameroun, Pango Philippe de la Côte d'Ivoire et Agba de Landa du Togo ont abordé une intéressante thématique, «L'Afrique ou l'aventure ambiguë». Cela, évidemment, rappelle le célèbre roman du sénégalais Cheikh Hamidou Kane, L'Afrique ambiguë, paru en 1961. Un roman poignant sur un Africain «déchiré» entre deux visions du monde, deux cultures. Le débat sur la modernité et la tradition, instauré après les indépendances des pays africains dans les années 1960, est toujours d'actualité. «Je ne parle même de colonisation, c'est dernière nous. Aujourd'hui, quelle identité avons-nous ? Nous sommes tous des hybrides. Le retour aux sources ne nous servira à rien. L'excision des filles est une pratique traditionnelle. Eh bien, ces traditions sont un frein. Il y a des choses à enlever. Il faut déconstruire ce retour aux sources. Les jeunes sont nés avec les nouvelles technologies. Il faudrait qu'ils puissent avancer. Au Burkina Faso, ce sont les jeunes qui sont sortis dans la rue. Nous n'avons pas attendu que des gens viennent d'ailleurs pour le faire. Deux jours après, le Président est parti. Et tout le monde refuse que l'armée revienne au pouvoir. Nous avons vu depuis les indépendances qu'à part le premier Président chez nous qui n'était pas militaire, tous les autres Présidents sont venus par un coup d'Etat», a constaté Sophie Heidi Kam. Pour elle, l'éducation est à la base de tout. «Eh bien, l'éducation en Afrique n'a pas réellement changé. On forme toujours les Africains pour qu'ils deviennent des ouvriers aux fins d'aider les colons à gérer leurs ressources. Et là, on demande aux Africains d'apprendre à entreprendre, à créer des entreprises…», a souligné l'écrivain camerounais Joseph Fumtim qui est intervenu dans leu débat. «La colonisation n'est pas finie» Evoquant la question de «la domination», Pango Philippe a cité l'exemple de la programmation des chaînes de télévision dans les chambres d'hôtel en Côte d'Ivoire. «A Alger, les chaînes algériennes sont programmées dans les premiers canaux pour qu'on puisse les voir avant les autres. En Côte d'Ivoire, la chaîne nationale n'est programmée qu'à la centième position ! Elle est suivie par les chaînes togolaises, béninoises, sénégalaises… Pourquoi ? Parce que l'entreprise qui fait la programmation dans les hôtels n'est pas africaine. Dans mon pays, il n'est pas autorisé d'ouvrir une chaîne de télévision privée. Nos dirigeants l'ont décidé ainsi. Où est le colon là dedans ? Nous nous faisons hara kiri. Ne nous faisons même pas la promotion de nos produits. A la télé, je vois la publicité pour des produits français qui ne sont même vendus en Afrique. Il est vrai de dire que la colonisation, c'est derrière. Mais la réalité est que tant et aussi longtemps que le colon d'autrefois trouve dans nos dirigeants un partenaire qui va positionner ses produits à lui au détriment de nos produits, la colonisation n'est pas finie dans les années 1960», a précisé Pango Philippe, rentré en Côte d'Ivoire après avoir vécu au Canada. Il dirige actuellement une zone franche. «Je privilégie de loin les entreprises africaines pour qu'elles s'installent. Car, je sais que ces entreprises ne viennent pas chez nous en conquérants. Mais, je dois le faire d'une manière très subtile, il ne faut pas que ça se sache trop… Rapidement, je peux être perçu comme celui qui ne joue pas le jeu de certains dirigeants», a-t-il dit plaidant pour un retour de la diaspora africaine. Pango Philippe, qui vient de publier à Abidjan un nouveau roman, Terminal, l'étrange périple d'un citoyen du monde, regrette la faiblesse de niveau des universités africaines actuellement. «L'éducation, c'est important. On peut le faire à la manière africaine. Mais, pour être manager ou ingénieur, il faut apprendre d'abord à l'école et ensuite sur le terrain», a-t-il dit. Bios Diallo a rappelé qu'il est rentré en Mauritanie après avoir vécu en France. «Je me suis dit que je serai plus utile pour mon pays. J'essaie de créer des passerelles entre les pays africains. Cela nous manque. On ne se connaît pas trop en Afrique. On se rencontre plus à l'étranger que chez nous», a-t-il regretté. Bios Diallo a créé un festival consacré à la littérature en Mauritanie, Traversées Maurtitanide. «Cette année, nous allons débattre sur le rôle de la diaspora africaine. Cette diaspora doit-elle rester à Paris ou New York et critiquer ? Ou doit-elle revenir en Afrique pour travailler sur le terrain ? La diaspora doit accepter les risques, aider les énergies positives à s'exprimer et créer des initiatives», a-t-il dit plaidant pour un renforcement de l'échange entre le Maghreb et l'ensemble du continent. «Il faut supprimer les rideaux entre nous. Il est plus facile d'aller en France ou aux Etats-Unis que d'aller au Gabon ou au Cameroun», a-t-il dénoncé. «Plus il y a des organisations sous-régionales en Afrique, plus il y a les barrières. C'est un problème. Pour partir de Lomé à Lagos, il faut au moins dix heures alors que la distance entre les deux villes est de 300 km ! Nos dirigeants parlent d'intégration, mais chacun reste dans son petit royaume, son petit territoire. Il appartient aux intellectuels de dénoncer tout cela», a souligné Agba de Landa qui a plaidé pour la co-édition des livres en Afrique. «Cela sera un début de la coopération. Les idées vont pouvoir circuler. Et quand les idées circulent, les barrières tombent», a-t-il dit. Ne pas rester les bras croisés ! Au Cameroun, selon Djaïli Amadou Amal, toutes les grandes entreprises sont françaises. «Un expatrié perçoit un salaire dix fois plus élevé que celui d'un Camerounais ayant le même diplôme et qui travaille dans la même entreprise. Tous les postes de responsabilité sont tenus par des expatriés. Cela concerne les banques, les télécom, les ports, les aéroports, tout… jusqu'aux cartes d'identité. Des entreprises françaises identifient les gens pour avoir les cartes d'identité. Nous sommes tous dans leurs fichiers. Ils savent tout sur nous, peut-être plus que nos dirigeants !» a-t-elle souligné invitant la diaspora africaine à affronter la réalité du terrain. Djaïli Amadou Amal a dénoncé «les frontières» qui ont séparé plusieurs ethnies en Afrique. «Au Cameroun, par exemple, il faut parfois traverser les frontières du Nigeria pour retrouver des familles. Le même village a été divisé par les frontières. Au nord du Cameroun, nous nous retrouvons dans les coutumes du Tchad, du Nigeria, du Mali et du Niger. Le sud du Cameroun est plutôt plus proche du Congo et de la Centrafrique. Donc, les colons nous ont imposé des frontières», a-t-elle noté. Elle a rappelé que pendant longtemps l'école était considérée par des musulmans de l'Afrique de l'ouest comme «une institution chrétienne». «C'est pour cela que les parents n'avaient pas envoyé leurs enfants à l'école. Nous n'avons pas encore dépassé cela. Boko Haram, qui signifie en haoussa que l'école occidentale est illicite, enlève les jeunes filles au Nigeria pour les empêcher de poursuivre leur scolarité. Boko Haram existe aussi au Cameroun, au Tchad et ailleurs. Et le discours est le même, à savoir interdire aux filles d'aller à l'école pour qu'elles ne ''s'occidentalisent'' pas et pour qu'elles ne ''perdent'' pas leur religion. Et que font nos Etats pour nous défendre ? Quand je dis cela, certains m'accusent d'être contre l'islam. Ce n'est pas vrai», s'est défendue Djaïli Amadou Amal qui plaide pour la scolarité des filles dans ses romans. Elle a estimé que les Africains doivent répondre à cette question : «qui sommes-nous finalement ?» Selon Sophie Heidi Kam, il appartient au peuples africains de prendre leur destin en main. «Il faut choisir ce qu'il faut et la route à suivre», a-t-elle appuyé. «Ne restons pas les bras croisés et dire que c'est à cause de l'Occident. Arrêtons de pleurnicher ! Prenons nos responsabilités. Il faut installer des poubelles au lieu de jeter des sachets dans la rue. Il ne faut plus continuer à ne pas envoyer des filles à l'école. Il faut développer l'agriculture. Il faut changer les politiques, remettre tout en question, avancer et voir dans quelle mesure nous pouvons développer nos sociétés nous-mêmes», a plaidé Djaïli Amadou Amal.