Entre le «géant» de Temmar, «les champions» de Benmeradi et récemment encore «la restructuration» de Bouchouareb, l'Algérie attend toujours son boom industriel. Depuis 2000, près de 1600 milliards de dinars ont été investis dans l'industrie, selon un bilan arrêté par l'Agence nationale de développement de l'investissement (ANDI) à juin 2013 (Graphe). Un effort qui a permis la création de plus de 100 000 emplois, d'après la même source, soit près d'un tiers des emplois créés par l'ensemble des projets d'investissement recensés durant cette période (dont 91% ont effectivement été réalisés, précise-t-on). Pour autant, et après une décennie et demie d'investissements et des centaines de milliards de dollars d'assainissement des entreprises publiques, la contribution du secteur industriel à la richesse nationale ne dépasse toujours pas les 5%. Elle devait, selon Mohamed Benmeradi, l'ancien ministre du secteur, doubler à la fin de 2015. On est bien loin du compte. Les entreprises industrielles représentent à peine 10% de l'ensemble des entités économiques recensées par l'office national des statistiques dans son enquête de 2011 (voir graphe 1). Alors que se profile une période de disette et une raréfaction autant des recettes en devises que des ressources naturelles à leur origine, le Premier ministre Abdelamalek Sellal en appelle à «une révolution» industrielle. Plus qu'un investissement Annoncée en grande pompe, l'usine Renault qui doit être inaugurée aujourd'hui doit donner le ‘‘la'' à cette relance industrielle tant attendue. Symbol ne fera donc pas uniquement référence au modèle du premier véhicule made in Algeria, mais sera aussi la dimension de ce projet d'investissement algéro-français dans lequel certains observateurs voient une connotation «politique» plutôt qu'économique. L'usine en question ne produira que 25 000 véhicules/an dans un premier temps, destinés uniquement au marché national avec une création de 350 emplois. A titre de comparaison, l'usine Renault de Tanger (Maroc) a produit 200 000 véhicules en 2014 dont 90% sont exportés et elle compte 5400 salariés. Camille Sari, expert en économie et en finances estime que le projet «ne serait pas viable économiquement n'était la participation à hauteur de 51% de l'Etat algérien. 25 000 véhicules pour le marché algérien ce n'est pas très rentable, et tout le monde sait que le marché mondial de l'automobile ralentit.» Son intérêt serait davantage d'ordre marketing. Il s'agit pour l'Algérie de «lancer un message aux investisseurs étrangers sur l'attractivité de l'environnement économique du pays.» Assemblage Politique ou pas, le projet Renault, même petit, peut s'avérer plus que symbolique combiné à d'autres projets du secteur. Un peu plus tôt dans l'année (avril), on avait en effet assisté à la sortie d'usine du premier camion Daimler-Benz (Rouiba) et en octobre dernier du premier véhicule militaire de la même marque (Tiaret), fruit d'un partenariat algero-germano-emirati. Toutefois, comme pour Renault, il s'agit de projets d'assemblage pour lesquels le taux d'intégration local est marginal. Or, comme le soulignait Reda Amrani, expert en économie industrielle, «l'industrie automobile ne se résume pas à une ou deux usines comportant une ou deux lignes d'assemblages chacune. Il s'agit de plateformes de production réunissant les installations principales du constructeur et celles de ses fournisseurs de composants et de demi-produits (verre, plastique, produits métallurgiques, pneumatiques) nécessaires à la fabrication du véhicule automobile». Force est de constater que dans le cas de l'Algérie, «il n'y aura pas de sous-traitance mécanique pour le projet Renault. ça sera du montage», note Zaïm Bensaci, président du Conseil national consultatif pour la promotion des PME. Les responsables du projet ont retenu un niveau d'intégration de 12% au départ, qui devrait passer à 42% d'ici 5 ans avec le développement d'un réseau de fournisseurs locaux. A titre de comparaison, l'usine voisine de Tanger a été inaugurée en 2012 avec un taux d'intégration local de 46%. L'objectif à long terme étant de 70 à 80% et pour ce faire des opérations de démarchage sont menées auprès d'industriels marocains et aussi en dehors du Maroc pour les inciter à s'y implanter (déclaration de Paul Carvalho, directeur du site, sur www.usinenouvelle.com). En Algérie, «Renault n'a pas fait venir ses équipementiers sur place», précise M. Bensaci. Et s'il n'y a pas de sous-traitance mécanique, «comment arrivera-t-on à un taux de 40% ?» s'interroge-t-il. La sous-traitance en Algérie est au stade «embryonnaire», mais elle peut constituer «un noyau» autour duquel on peut développer cette activité. L'entreprise nationale des véhicules industriels (SNVI) actionnaire dans le projet Renault, indique faire appel à un réseau de 300 sous-traitants qui fournissent environ 3000 références, selon elle. C'est un réservoir dans lequel il est possible de puiser. Un tissu de sous-traitants reste donc à créer ; or «la sous-traitance n'est rentable que si elle travaille pour plusieurs constructeurs. Il serait suicidaire pour un sous-traitant de travailler uniquement pour Renault», insiste Camille Sari. Un tissu de sous-traitants suppose donc «l'existence de plusieurs constructeurs». Une usine de 25 000 unités sur un marché de 400 000 est de ce point de vue insuffisante, mais peut servir de catalyseur, adjointe aux autres projets en cours dans le secteur de la mécanique. Copies Plus globalement, Renault peut servir «d'appât», estime Zaïm Bensaci. Un exemple à dupliquer pour d'autres secteurs industriels comme la pétrochimie ou les matériaux de construction. Le problème réside dans le fait que «les marges dans l'industrie ne sont pas importantes contrairement aux coûts de revient, il est donc plus facile d'importer». Par ailleurs, «nos équipements industriels sont obsolètes alors que la technique a évolué», remarque M. Bensaci. La solution viendrait de la mise en place d'une «cartographie de nos PME existantes afin d'identifier nos besoins d'investissements». Développer un secteur industriel sur la base des filières à fort potentiel et en privilégiant certains secteurs pourrait constituer une réponse à l'impératif de relance industrielle. Mais le choix sera d'autant plus difficile maintenant que l'Etat est amené à être plus regardant sur la dépense. Reste la solution «de la privatisation», selon Camille Sari. Le privé national, mais aussi étranger peuvent être une solution. 90% des investissements réalisés entre 2000 et 2012 sont l'œuvre du secteur privé national.