L'Organisation mondiale du commerce (OMC) vient de subir le plus grand des échecs de son existence. Sa cause est unanimement attribuée à l'égoïsme qui, de fait, a toujours été de mise dans les relations entre les membres d'une institution qui prétendait, à sa création, agir en faveur d'une réelle libération des échanges internationaux dans le respect d'un commerce mondial équilibré. Tel était en tout cas l'objectif à atteindre en prélude au lancement de ce qu'il est convenu d'appeler le « cycle de Doha » du nom de la capitale du Qatar. Il y a eu ensuite, en septembre 2003, la conférence de Cancun, qui a été marquée par le concrétisation de l'unité des pays émergents : faire aboutir, ensemble, leurs revendications communes. La conférence s'est néanmoins soldée par un échec. La réunion suivante, tenue en décembre 2005 à Hong Kong, a ouvert la voie à l'encouragement. Elle a en effet débouché sur la suppression en 2013 de toutes les subventions aux exportations agricoles, mais, hélas, les dossiers pratiques attendus sont toujours mis en instance. On avait beaucoup misé sur les résultats de la conférence tenue tout récemment à Genève : tous les clignotants laissaient supposer qu'on allait en finir avec la rigidité des positions des uns et des autres autour de l'épineux problème des subventions agricoles. On a même eu droit à un vibrant appel commun des chefs d'Etat et de gouvernement du G8 réunis à Saint Pétersbourg, invitant les négociateurs de Genève à « intensifier les efforts pour conclure, d'ici à la fin de l'année, le cycle de Doha débuté en 2001 ». C'était compter sans les arrière-pensées des six participants du G6 : Australie, Brésil, Etats-Unis, Inde, Japon et Union européenne, chacun plus que jamais décidé à camper sur ses positions à propos des subventions agricoles, sujet de la principale discorde actuelle. Des gros intérêts nationaux sont en jeu : selon un récent rapport de l'OMC, les 21 pays les plus développés ont distribué près de 250 milliards de dollars, soit environ 200 milliards d'euros de subventions. C'est dire l'importance de l'effort que chacun se doit de consentir qui passe inévitablement par un revirement radical des politiques nationales et régionales suivies jusqu'à présent. Pour l'heure, personne ne semble disposé à faire le moindre pas en direction d'une baisse sensible des aides nationales et surtout pas les Etats-Unis, pointés du doigt par l'Union européenne comme étant les responsables de l'échec. Si les agriculteurs de tous les pays dispensateurs de libéralités continueront d'en profiter, en revanche, ceux des pays en développement soufreront encore longtemps des contraintes correspondantes : la baisse de leurs revenus générés par l'exportation de leur production agricole. Dans ce jeu de « Pierre accuse Paul », chacun des joueurs guette que son adversaire baisse sa garde : pour l'heure, rien ne laisse supposer le moindre fléchissement.« C'est aux Etats-Unis qu'il revenait de faire le geste le plus important », clame Celso Amorim, le ministre des Affaires étrangères brésilien. De son côté, au nom de l'UE, Peter Mandelson est encore plus incisif : « Les Etats-Unis se sont montrés incapables de faire preuve de flexibilité », alors que l'« Union européenne était disposée à la faire ». Quant aux Américains, ils imputent aux autres la pleine responsabilité de l'échec. D'après Washington, « le président Bush a signifié clairement au G8 que le Etats-Unis étaient prêts à faire des concessions si certains de nos alliés étaient également prêts à en faire. Ils ne l'ont pas fait ». On ne perdra pas de vue que pour l'heure une telle situation d'impasse continue de profiter aux mêmes bénéficiaires, sans doute pour longtemps encore en raison des élections à venir dans plusieurs pays dont les USA et la France. En attendant, le statu quo arrange donc certains et tant pis pour les pays en développement : ils pourront, nonobstant l'échec des négociations de Genève, se contenter de l'élimination des subventions aux exportations agricoles prévue pour l'horizon… 2013.