Lorsque l'ancien ministre des Finances, M. Benachenhou, avait lancé cette lourde phrase : « Telles qu'elles fonctionnent, les banques publiques sont devenues une menace pour la sécurité de l'Etat », l'opinion n'avait pas encore mesuré l'ampleur des dégâts occasionnés par les détournements des fonds publics. Les scandales en cascade ayant ébranlé la majorité des banques publiques ne semblent pas connaître leur épilogue et ne font que banaliser les montants détournés. Ainsi, à eux seuls, les détournements ayant touché la BADR et la BNA ont causé un préjudice de plus de 35 milliards de dinars, et dont les bénéficiaires arrivent souvent à fuir pour s'installer sous d'autres cieux. Etant donné que les instruments de contrôle interne n'arrivent à déceler les transactions douteuses qu'une fois les fonds sortis des caisses de la banque, les services de sécurité chargés de la lutte contre la criminalité financière (police et gendarmerie) n'interviennent que trop tard. Les statistiques des affaires qu'ils ont traitées en 2005 sont révélatrices, d'autant qu'elles ne représentent que la partie apparente de l'iceberg. Ainsi, en 2005, les services de la Gendarmerie nationale ont traité 1038 affaires liées à la criminalité économique et financière et 689 durant le premier semestre de 2006. Les atteintes à l'économie nationales viennent occupent le premier rang, avec 544 affaires en 2005 et 288 durant les six premiers mois de l'année en cours. Pour ce qui est du secteur bancaire, les services de la gendarmerie ont ouvert plusieurs enquêtes à Ouargla, Sétif, Jijel, Tipaza et Alger, pour des détournements estimés à plus de 71 millions de dinars (71 167 278,78 DA). La plus importante somme détournée, évaluée à 23 732 045,16 DA, a été constatée à la BDL de Tipaza. Les autres sommes subtilisées ont été enregistrées à la BADR de Ouargla (plus de 16 millions de dinars), à la CNEP de Tipaza (18,149 millions de dinars), à la BNA de Sétif (10 millions de dinars), à la BEA de Sétif (10 millions de dinars) et à la BADR d'Alger (1 million de dinars). Pour leur part, les services de police ont indiqué avoir traité 156 affaires économiques en 2005 à travers le pays, pour lesquelles 602 personnes ont été écrouées, 152 mises en liberté provisoire, 100 placées sous contrôle judiciaire, 11 citées directement et 21 sont concernées par des mandats de recherche. Le montant détourné des banques publiques a été estimé par la police à plus de 160 milliards de dinars (16 738 467 316,20 DA et 1 582 500 euros) alors que durant les cinq premiers mois de l'année en cours, la somme détournée a dépassé les 9 milliards de dinars (9 585 836 251,09 DA). Ces affaires n'ont pas été les seules à avoir été traitées par les services de police. Ces derniers ont été saisis pour enquêter sur des trous financiers enregistrés au niveau du Trésors public et évalués à plus de 34 milliards de dinars (34 238 015,81 DA), 3 278 920,70 d'euros et 9 millions de dollars. Ces affaires concernent surtout les dilapidations et les infractions à la loi sur le contrôle de change et le mouvement des capitaux. Les responsables de police ont indiqué qu'en 2005, les services de la police judiciaire ont constaté 277 affaires liées à la criminalité financière, dans lesquelles 1242 personnes étaient impliquées. Les mêmes services ont également enregistré un préjudice de plus de 20 milliards de dinars (2 434 538 683,55 DA) lié à l'abus de biens sociaux à des fins personnelles dont les auteurs, au nombre de 29, sont des responsables d'entreprise ou de collectivités locales. La police judiciaire a estimé à près de 2 millions d'euros (1 696 420,70 euros) et 9 millions de dollars les sommes transférées vers l'étranger par des particuliers grâce à la complicité de certains banquiers dont certains demeurent toujours en fuite. Les mêmes services ont indiqué que dans le cadre des enquêtes préliminaires, 369 personnes ont été arrêtées pour dilapidation de deniers publics dont le montant a été estimé à plus de 13 milliards de dinars (13 778 833 121,80 DA). Fausses domiciliations bancaires, surfacturations, non paiement des fournisseurs étrangers, sociétés fictives, faux et usage de faux, prêts complaisants, fausses garanties, abus de confiance... sont les principaux moyens utilisés pour « voler », profitant bien sûr de la cupidité de certains responsables de banques, mais également du dysfonctionnement pour ne pas dire de l'absence ou du laxisme du contrôle interne. Ces chiffres laissent perplexes et montrent une fois de plus avec quelle facilité l'argent du contribuable est détourné puisque même les recettes communales n'ont pas échappé à cette hécatombe. Durant les cinq premiers mois de l'année en cours, les services de police ont découvert un trou financier de l'ordre de 547 620 113,90 DA, dont les auteurs se comptent parmi les hauts cadres des collectivités locales et les président des Assemblées communales. Les deux derniers ministres des Finances, Benachenhou et Medelci, ont tous les deux mis l'accent sur la gravité de la situation des banques publiques, notamment après les nombreux scandales qui ont ébranlé récemment la BNA et la BADR en disant que ces dilapidations sont le fait de malfaiteurs au sein même des banques et à l'extérieur de celles-ci, en précisant toutefois que les auteurs, au fait du système de contrôle interne, ont bien maquillé leurs actes pour agir en toute quiétude durant des années. Cette facilité avec laquelle l'argent de la banque est détourné a permis aux auteurs de ces derniers d'accumuler d'importantes fortunes. Le cas Khalifa montre l'étendue du fléau. C'est dire à quel point la situation est aujourd'hui gravissime et appelle à des mesures urgentes pour revoir totalement le fonctionnement des institutions financières afin que la gestion de celles-ci soient plus transparentes et n'obéissent plus aux injonctions des politiques qu'ils soient civils ou militaires. Il y va de la sécurité de l'Etat.