La situation dans laquelle se trouve le Liban, aujourd'hui, impose un certain nombre de recoupements pour comprendre pourquoi ce pays se trouve dans l'œil du cyclone. Depuis l'assassinat de Rafic Hariri, la scène libanaise était ouverte à l'imprévu et d'une manière presque patente à un processus de fragilisation de l'édifice institutionnel. Le ressentiment antisyrien, qui a trouvé à s'exprimer dans la rue libanaise, avait atteint les cercles dirigeants au sommet de l'Etat libanais. Le président Emile Lahoud lui-même n'avait pas été épargné dans la violente campagne antisyrienne qui avait suivi l'assassinat de l'ex-Premier ministre libanais. Célébré comme une éclatante victoire du courant démocratique, le retrait des troupes syriennes du Liban est resté sans alternative. Il n'avait pas été compensé par un déploiement, en lieu et place d'effectifs de l'armée régulière libanaise. Dans la conjoncture tragique qui caractérise actuellement ce pays, la question se pose alors de savoir si Israël aurait agressé un Liban où se trouveraient encore des effectifs de l'armée syrienne ? A l'évidence, Israël tire avantage de la disproportion des forces en présence dans la mesure où sa stratégie d'agression se fonde sur l'incapacité de l'armée libanaise à riposter. Que se serait-il passé si les Syriens avaient été là ? Leur retrait arrange les calculs d'Israël qui évite ainsi un choc frontal avec la Syrie, le parti pris de l'Etat hébreu étant d'attaquer en priorité un Etat sans capacités militaires majeures. En fait, de quelque côté qu'elle est examinée, l'agression israélienne contre le Liban s'articule autour du facteur syrien. L'offensive d'Israël s'inscrit dans un calendrier qui fait du retrait syrien son temps fort. En tout état de cause, l'argument du désarmement et de l'élimination du Hezbollah ne se suffit pas à lui-même. La milice chiite libanaise, toujours définie par le camp occidental comme un instrument de l'axe Damas-Téhéran, ne pouvait être atteinte que dès lors que sa jonction avec la Syrie n'était plus possible. La destruction du Hezbollah, suspecté d'être alimenté en armes et en munitions par Damas et Téhéran, devenait pour Israël possible et urgente dès le moment où la Syrie, réputée pour Tel-Aviv et Washington avoir créé la milice chiite, n'était plus là pour la défendre. C'est, significativement, à cet égard que dès le début de l'agression contre le Liban, Israël a lourdement frappé les ports et aéroports libanais susceptibles de maintenir le contact du Hezbollah avec toute source d'approvisionnement. L'état-major israélien n'a sans doute pas déterminé cette stratégie guerrière dans la foulée de l'enlèvement de ses soldats par le Hezbollah. Un engagement militaire aussi massif, aussi implacable que l'agression contre le Liban suppose une préparation de longue main. Le retrait syrien du Liban a offert la possibilité aux Israéliens de vouloir en finir avec la seule force libanaise en mesure de leur résister militairement. L'offensive israélienne a suivi la virulente campagne menée par Washington pour obtenir, par consensus international, et résolution du Conseil de sécurité des Nations unies à l'appui, le désarmement de la milice chiite libanaise. Sur ce terrain de la légalité, la communauté internationale est prise de court car l'agression israélienne ôte toute pertinence aux mécanismes institutionnels de désarmement du Hezbollah alors que les voies du recours et de la négociation n'étaient pas épuisées. Israël, soutenu par l'Administration Bush en cela, ne croit pas que les instances internationales pourront se faire entendre du Hezbollah et l'agression contre le Liban montre qu'il privilégie la force à la raison. C'est une course de vitesse qu'engage dès lors Israël qui n'ignore pas que le Hezbollah ne va pas se suicider à son profit en rendant ses armes. Il en résulte une confrontation directe, meurtrière, entre le Hezbollah et Israël dont l'ampleur n'est pas mesurable dans la mesure où l'embrasement du Liban pourrait engendrer un retour de flammes dans tout le Proche-Orient et même allumer des brasiers dans d'autres parties du monde. Au Liban, Israël joue manifestement avec le feu. A. L.