La vie et l'œuvre d'Isabelle Eberhardt continuent de susciter envoûtement et mystère à la fois. Un Musée portant son nom a été inauguré, hier, à El Oued. L'ambassade de Suisse à Alger, a organisé, mardi dernier, avec la fondation Zephira Yacef et le soutien de la Ville de Genève, une conférence sur Isabelle Eberhardt au palais de la Culture à Alger. Cette manifestation, intitulée «Isabelle Eberhardt - Chevauchée vers la lumière - Genève - Alger - El Oued», a été animée par trois intervenants et modérée brillamment par le docteur en économie, Yacine Ould Moussa. Dans son discours inaugural, son Excellence, l'ambassadrice de Suisse en Algérie, Mme Muriel Berset Kohen, a indiqué qu'Isabelle Eberhardt a franchi jeune l'étroite frontière de son pays natal pour se perdre et se retrouver dans un vaste monde avec la plume. «Isabelle Eberhardt s'est imprégnée de la beauté de l'Algérie par tous ses pores. Elle a créé un arc-en-ciel permanent entre la Suisse et l'Algérie qu'elle a tant aimée et qui le lui rend bien. Une rue et une crèche à Genève portent le nom d'Isabelle Eberhardt», dit-elle. L'historienne et anthropologue suisse, Geneviève Perret a axé son intervention sur le thème : «Isabelle Eberhardt, une Genevoise à contre-courant». Pour l'oratrice, la reconnaissance d'Isabelle Eberhardt s'est faite tardivement dans son pays natal. Elle était beaucoup plus connue et reconnue en Algérie qu'à Genève. «Peut-être, précise l'universitaire, que cela est dû au fait qu'Isabelle n'était pas issue d'une bonne famille genevoise et que ces écrits posthumes ne se sont faits connaître que récemment. Ou bien que sa mort prématurée dans un pays qui l'a vu naître l'a empêchée de se faire un nom.» La maison d'enfance a disparu, mais l'étang sur lequel patinait Isabelle et ses frères existe encore. De même que les serres où la famille faisait pousser les cactus ont également disparu. Fillette, elle s'habillait en garçon et partagait les activités de ses grands frères. Elle est initiée avec ses frères aux langues et à la littérature étrangères. Isabelle est contrainte aussi à de durs exercices physiques, ce qui la préparera aux longues chevauchées dans le désert. Alors que les jeunes filles de son âge étaient serrées dans leurs corsets et leurs longues robes au tournant du XXe siècle, Isabelle se présente dans des vêtements de garçon. «Si Isabelle est habillée en garçon, c'est peut-être par mesure d'économie. On lui faisait porter les vêtements de ses frères, c'est aussi selon le principe cher de son beau-père que l'égalité homme-femme commence dans l'apparence». Elle est influencée par la littérature de Pierre Loti. Elle passe d'un costume à l'autre, jouant surtout des rôles d'homme. La conférencière soutient que si Isabelle a développé un esprit d'ouverture, c'est grâce à sa famille. Genève, où tous les étrangers résidaient à l'époque L'Algérie s'est invitée dans l'imaginaire familial, avec le départ d'un des frères d'Isabelle en Algérie dans la Légion d'honneur. Elle se met à apprendre le kabyle et l'arabe, et découvre l'Islam. L'écriture l'empêche de sombrer définitivement dans la déprime. Elle se dit amoureuse des lointains espaces inexplorés. Elle rejoint son frère en Algérie en mai 1897 alors qu'elle n'a que vingt ans. «Elle embarque pour l'Algérie sans une idée de retour. En quittant la maison de son enfance, elle réalise d'un côté toutes les affres d'une vie plus que malheureuse, et de l'autre tous les rêves et toutes les espérances», argue-elle. Professeur Honoraire de l'université de Laussane, Doris Jakubec a présenté une intervention portant sur «Isabelle Eberhardt, le rêve de l'écrivain nomade». Isabelle s'est convertie à l'Islam. Elle a donné à sa vie une orientation, tout en préservant son indépendance et sa liberté personnelle. Pour elle, «l'islam aura été une possibilité d'être elle-même sans devoir renoncer à cet esprit d'indépendance. Elle a appris l'arabe non seulement pour pouvoir s'exprimer dans un pays qu'elle allait découvrir, mais pouvoir écouter et comprendre», précise-t-elle. Avant de venir en Algérie, elle choisit son camp. Elle sait à qui elle appartient depuis des origines lointaines et incertaines. Elle a fondé sa qualité de réfractaire à travers deux éléments importants : choisir puis rester soi-même. «Je pense que toute son œuvre est une préparation à une pensée qui n'a pas été écrite, mais que chacun de ses lecteurs pourra reconstruire dans la plénitude de la pensée et de l'infinité de l'amour», conclut cette intervenante. De son côté, l'écrivain algérien Farouk Zahi est revenu dans un élégant plaidoyer sur «l'ultime escapade d'Elisabelle Eberhardt». Le massif saharien a été au centre des préoccupations de la jeune voyageuse. A Bou Saâda, Isabelle se lie d'amitié avec l'insoumise Lalla Zineb, à la tête de la zaouia rahmaniya d'El Hamel depuis 1897. Les deux femmes, qui avaient des points en commun, sont mortes à un mois d'intervalle. Il est à noter que la conférence s'est clôturée par la lecture d'extraits d'écrits d'Isabelle Eberhardt par la journaliste Narimène Sadouni, et ce, sous les rythmes de la gasba (flûte).