Comme annoncé au lendemain de la signature du protocole d'accord entre Sonatrach et Gazprom, le ministre italien du Développement économique, Pierluigi Bersani, a saisi la Commission européenne lui demandant d'inviter l'Algérie et la Russie à fournir « des informations détaillées sur la teneur de l'accord ». Le gouvernement italien ne se résout toujours pas à accepter comme un fait accompli ce qu'il considère « une alliance à risque » et demande l'arbitrage du Commissaire européen pour l'énergie, le Lituanien Andris Piebalgs. Car les dirigeants du groupe pétrolier Eni et la direction de l'Autorité pour l'énergie voient d'un mauvais œil la récente consolidation de la coopération entre les deux colosses des hydrocarbures, l'algérien Sonatrach et le russe Gazprom. Dépendant fortement de ces deux derniers en matière d'approvisionnement gazier –à hauteur de 60%–, l'Italie ne veut pas être réduite au rôle de partenaire passif dans le triangle commercial qu'elle forme avec ses deux principaux fournisseurs. Car si le ménage à trois dure depuis des années, la partie italienne estime qu'elle a droit à « plus de transparence et de loyauté » pour pouvoir rassurer les consommateurs italiens, surtout les industriels, préoccupés par les nombreuses ruptures d'approvisionnement survenues l'hiver dernier, et que Moscou n'a jamais définitivement éclairées. L'Italie a besoin du gaz russe et algérien pour produire 54% de ses ressources énergétiques indispensables pour fait tourner l'industrie et pour réchauffer les foyers italiens et ne peut se permettre de dépendre des aléas d'un approvisionnement à risque. En attendant d'en savoir plus sur les termes de l'accord algéro-russe, les experts italiens craignent que cette « fusion » ne soit le stratagème trouvé par le gouvernement de Vladimir Poutine pour parer son incapacité à honorer son contrat de fourniture de gaz qui le lie aux Italiens pour plusieurs années à venir. Le rapprochement avec Sonatrach viserait donc, selon cette interprétation plus défendue par les analystes de l'économie italienne, à couvrir cette hypothétique défaillance russe et à sauver la face à Gazprom devant ses clients européens. Car les spécialistes de la sécurité énergétique écartent la thèse, initialement avancée par des dirigeants de l'Eni, argument dont le ministre Bersani s'est servi pour justifier sa requête adressée à Bruxelles, et qui avaient évoqué « une nouvelle Opep du gaz » créée pour peser sur les décisions concernant la spéculation sur le prix et le contrôle de la quantité de gaz produit. « L'accord entre les deux plus importants fournisseurs de l'Europe en gaz, qui en plus de la coopération dans le domaine de la recherche, apparaissent liés également au développement du secteur gazier et à la possibilité de former des sociétés mixtes et de rendre optimales les fournitures, déterminant en perspective, l'éventualité de pressions économiques sur les prix européens du gaz », avait averti Bersani. Le responsable du gouvernement italien appelle l'Union européenne à « renforcer et à coordonner une politique européenne en faveur des consommateurs de gaz afin de hausser leur pouvoir d'achat en tant que ressource servant à contrecarrer d'éventuels accords sur l'offre ». En réalité M.Bersani suspecte l'existence d'un accord algéro-russe visant à créer une espèce de cartel dont l'ambition secrète serait celle de pratiquer une surenchère au détriment des Européens, qui importent 50% de leurs besoins en gaz de ces deux pays, afin de s'assurer une influence directe sur la détermination des prix. En attendant la réponse de Bruxelles, le groupe italien Eni espère, toutefois, tirer profit de la détérioration des relations entre la Russie et les Usa. Ces derniers pourraient être exclus du mirobolant projet d'exploitation des gisements gaziers de la mer de Barents. Car si le couple énergétique algéro-russe semble indestructible, les Italiens se tiennent prêts à supplanter le prétendant américain, dans le cœur de la froide Russie.