Rencontre avec les artistes du Festival international des arts de l'Ahaggar, qui se tient jusqu'au 4 janvier à Tamanrasset. Bassekou Kouyaté, l'artiste malien le plus en vue sur la scène musicale mondiale actuelle, mène un noble combat : faire connaître les instruments africains. Il assume sa petite révolution. «L'Afrique doit bouger ! On ne doit pas rester comme ça. J'ai fait quatre fois le tour du monde. Partout on me parle de blues ou de jazz et de guitare électrique et de basse. Or, en Afrique, nous avons des instruments qui n'ont pas été exploités. C'est à nous de montrer au monde entier ce que nous avons. Personne ne peut le faire à notre place. C'est pour cette raison que j'ai créé cet orchestre pour montrer au monde entier ce que nous pouvons faire avec ce que nous avons en Afrique. Nous n'avons pas besoin des instruments occidentaux», a déclaré Bassekou Kouyaté après un concert riche en couleurs et en sonorités, le soir du réveillon, au campement Tidessi, à 12 km à Tamanrasset, au 5e Festival international des arts de l'Ahaggar qui se déroule jusqu'au 4 janvier 2014. Un concert qui s'ajoute aux 180 autres animés entre 2013 et 2014 dans les cinq continents. Le dernier album de Bassekou Kouyaté a été nominé aux prestigieux Grammy Awards pour son originalité musicale inspirée du patrimoine africain. Le groupe de l'artiste malien a également reçu le BBC Award. En Grande-Bretagne, Bassekou Kouyaté, qui est issu d'une famille de griots, a été classé «meilleur artiste du monde» pour 2014. Cela n'entame en rien la modestie de l'artiste. «Les gens aiment bien écouter de nouvelles choses qui représentent le mieux l'Afrique. Les gens découvrent le ngoni, le gumbri, le xalam... Le jazz, le blues, le rock, la salsa et tous les genres musicaux ont été importés. Aussi, devons-nous revenir à nos racines», a-t-il dit. Back to roots Selon lui, plusieurs artistes africains sont favorables au projet de «Back to roots», perçu comme une nouvelle chance pour la création musicale africaine. Le chanteur sénégalais, Youssou N'Dour, a applaudi des deux mains l'initiative de Bassekou Kouyaté, considérant sa musique comme la meilleure actuellement en Afrique. Bassekou Kouyaté a salué le travail fait par le griot congolais Djeli Moussa Condé pour donner plus d'authenticité à la musique africaine en s'appuyant sur la kora. «J'adore ceux qui luttent pour réhabiliter les instruments africains et qui luttent pour la culture africaine. J'adore le gumbri et j'adore le foklore algérien», a-t-il dit. Le plaidoyer africain de Bassekou Kouyaté ne l'empêche pas de mêler des sonorités salsa, jazz, blues, et bien sûr l'afrobeat dans sa composition musicale. L'artiste reprend dans ses chants les textes de ses grands-parents pour perpétuer la tradition et entretenir l'héritage culturel. «J'ai une école à Bamako où je reçois des élèves qui viennent de partout, du Japon, des Etats-Unis et d'ailleurs. Ils veulent apprendre le jeu d'instruments africains. C'est ce que je veux. Pour moi, le joueur de ngoni doit être traité au même titre qu'un guitariste. En raison de mes tournées dans le monde, le ngoni a été ‘‘timbré'', il est connu partout. Les jeunes Africains qui se sont mis à la guitare reviennent petit à petit au ngoni et au wawa», a soutenu Bassekou Kouyaté qui nourrit beaucoup de réserves sur ce qui est appelé la world music. Pour lui, les occidentaux tentent actuellement de donner «plus de puissance» au rock et au jazz pour «écraser» les musiques des autres régions du monde. «Eh bien moi, je vais faire du rock. Mais du rock africain», a-t-il promis. Chant Asmari Selamnesh Zemene, elle, est une chanteuse éthiopienne. Elle chante accompagnée du groupe breton Badum's Band et de la danseuse Zenash Tsegaye. Mercerdi soir au campement de Tidessi, l'ensemble franco-éthiopien a montré sur scène ce que peut donner un mélange entre des sonorités nordiques et le chant asmari baignant dans une sauce soul, jazz et funk. «C'est la musique des jours de fête. Il y a des compositions de jeunes musiciens avec celles des ancêtres de Selamnesh Zemene qui ont eu leur heure de gloire dans les années 1960 et 1970, l'âge d'or de la musique éthiopienne. Nous reprenons le répertoire traditionnel asmari qui se transmet de génération en génération», a soutenu Antonin Volson, batteur, après le concert. La voix chaude et rassurante de Selamnesh Zemene semble provenir des vallées d'Ethiopie, de ses rivières et de ses plaines. Elle a interprété plusieurs chansons comme Ale Gena (le titre phare de son premier album sorti en 2011), Mela mela, Minjar et Sabiyé. «Des chansons d'amour, des chansons qui racontent la nostalgie du pays. Autour de tout de cela, il y a de la poésie. Les Ethiopiens appellent cela ‘‘l'or et la cire''. C'est-à-dire sous l'apparence de paroles simples se cachent souvent un double sens qui est à découvrir, des piques lancés aux gouvernants et aux travers de la société. L'époux de Selamnesh Zemene est un poète qui a écrit plusieurs textes de ses chansons. Il y a aussi des vieux textes repris du répertoire populaire», a précisé Antonin Volson. Selon lui, la musique éthiopienne n'a été «découverte» en Europe que tardivement comparée à celle de l'Afrique de l'ouest ou de l'Afrique du Nord. La marginalisation serait d'origine politique. Cassettes La rencontre entre Badum's Band et Selamnesh Zemene remonte à plus de dix ans. «Nous l'avons rencontré dans un club à Addis-Abeba où elle se produisait avec un asmari band. Nous avons décidé de construire quelque chose ensemble», a indiqué Antonin Volson. «Le groupe jouait de la musique éthiopienne en Bretagne, découverte dans des cassettes. Nous avons fait venir le clariniste éthiopien Aklilu Zewdé, directeur du conservatoire d'Addis-Abeba, qui était également le saxaphoniste de Mahmoud Ahmed, le célèbre chanteur. Il a joué en Bretagne. Après, nous avons invité Mahmoud Ahmed qui revenait d'une tournée mondiale. C'était un conte de fées. En Bretagne, nous sommes de tradition orale. Nous plaidons pour l'évolution de ces musiques populaires», a expliqué Martin Bertrand, manager du groupe. Badum' Band and Selamnesh Zemene préparent un nouvel album. La soirée de mercredi a commencé avec du chant en tachelhit de Boussemghoun (El Baydah) avec Bachir Oulhadj. Une musique où se retrouvent des sonorités maghrébines très présentes dans le sud-ouest algérien, notamment à Igli, Lahmar et Boukaïs (Béchar). «Je suis le seul chanteur en tamazight dans la région de Boussemghoun. Je suis auteur-compositeur. Mon style musical ressemble à ce qui existe au Maroc. La musique n'a pas de frontières. Mon groupe existe depuis 1978», a souligné Bachir Oulhadj. Othmane Bali Il a interprété trois chansons dont Atmasa th'ziri (quand se cache la lune). «J'ai interprété aussi une chanson tirée du patrimoine populaire. Ce chant, dont les paroles ont été écrites par Sid Ahmed Tidjani, était interprété dans les travaux agricoles», a-t-il dit. Lala Badi, la diva de la chanson targuie, a pris le relais sur scène en interprétant des chansons accompagnées de guitare électrique. «Moi, je chante tout. Je peux le faire avec l'imzad, le tindi ou la guitare. Et là où je vais je me fais accompagner de danseurs. Pour chaque instrument, il y a une danse», a déclaré Lala Badi qui n'aime pas trop parler. Hier soir (jeudi), le Festival international des arts de l'Ahaggar a rendu un hommage particulier à Othmane Bali, l'autre grand nom de la chanson targuie. La soirée a été animée par Nabil Baly (fils du défunt artiste de Djanet), Toumast Ténéré, Choughli et Rezkaoui. Et ce soir, la scène sera grande ouverte pour la chanteuse algérienne Souad Asla, à l'ensemble mauritanien Sahel Khoumaissa, et au groupe nigérien Maâmar Kassey.