Nous l'avons rencontré à la maison de retraite pour vieillards et personnes handicapées de la localité d'El Djelloulia, dans la commune de Hamma Bouziane, à une dizaine de kilomètres de Constantine. Ali Bekiri n'a que vingt-cinq ans, mais il cohabite avec des personnes âgées. Il a quitté ses amis de l'orphelinat de Ziadia, mais il continue à leur rendre souvent visite. « On m'a fait grandir trop vite. C'est plus fort que moi, mais j'essaie quand même de m'adapter », nous dira-t-il d'un air résigné. L'histoire de ce jeune, timide, sage et retiré, est pourtant faite de privations tout au long de ses vingt-cinq années d'existence. Né en 1981, handicapé de naissance, « Alilou » pour ses amis intimes, a été abandonné juste après sa naissance à la pouponnière du quartier de Bab El Oued à Alger. Juste après la fermeture de l'établissement, il sera transféré avec d'autres bébés vers la pouponnière du Chalet des pins dans la ville de Constantine. à l'âge de six ans, il sera hébergé au Centre pour enfance assistée de la cité de Sidi Mabrouk. Ali connaîtra encore un autre « exode » après la fermeture du centre pour prendre la destination de l'autre centre de la ville situé à la rue Abderrahmane Benmeliek (ex-Pinget) et qui sera transformé en école pour jeunes non-voyants, dépendant de la direction de l'action sociale a partir de 1997. Après trois années passées au nouvel établissement de la cité Ziadia, Ali sera orienté vers le centre de vieillards de la commune d'El Haria, sinistre lieu, comparé à la prison d'Alcatraz (pas moins !) et dont la décision de fermeture a été prise en 2003 par Tayeb Belaïz, ministre de la Solidarité à l'époque, actuellement ministre de la Justice et garde des sceaux. Ali est depuis 2004 au centre des vieillards d'El Djelloulia où il cultive toujours l'espoir de poursuivre ses cours au centre d'alphabétisation de l'école Mouloud Belabed dans la rue Larbi Ben M'hidi. Un pas qu'il a réussi à franchir grâce aux encouragements des membres de l'association Edhamir d'aide aux personnes âgées et, notamment, sa présidente Seloua Boumalek qui n'a pas ménagé ses efforts pour entreprendre les démarches administratives pour son inscription. Un parcours pas tout à fait simple, surtout pour l'obtention des pièces d'état civil pour un orphelin. En dépit de son caractère réservé, Ali demeure l'exemple à suivre pour ses amis. Malgré son handicap, car il ne peut pas faire usage de ses mains pour écrire, il est parvenu à apprendre avec une facilité déconcertante et réussir avec brio. Il a d'ailleurs surclassé tous ses camarades de classe pour passer à la troisième année avec une note d'excellence. Ali se rappelle toujours qu'il a une famille à Alger, dans le quartier de Bab El Oued. Un lieu qu'il rêve de visiter un jour et il espère retrouver ses proches qu'il n'a, jusque-là, pas pu connaître.