La mobilisation a atteint son summum, ce week-end, à In Salah, où la population s'est retrouvée durant toute la journée d'hier à la place de la daïra, baptisée, place de la Résistance, depuis que ce grand espace de sable ocre est devenu le symbole de la protestation de la population locale contre l'expérimentation du gaz de schiste à Dar Lahmar, 28 km au nord d'In Salah. Entre pression et décompression, la journée de jeudi a été riche en rebondissements, houleuse et porteuse d'interrogations sur cette confrontation ouverte, quasiment inédite, entre la population d'une région donnée et le gouvernement à propos de ses choix, de sa politique, de ses projets ayant un impact environnemental qui suscite des appréhensions et des peurs aussi fortement exprimées par les habitants et qui s'y opposent avec force. Toute la ville attendait sur le qui-vive l'issue de la confrontation directe entre ses 40 délégués et le ministre de l'Energie, arrivé en milieu de journée pour une rencontre, qui s'est soldée, rappelons-le, par une rupture du dialogue, le retrait des représentants de la société civile d'In Salah et le départ quasi instantané de la délégation officielle vers Alger. Youcef Yousfi, venu présenter une politique énergétique, un programme d'action à l'horizon 2030, a presque accusé la population d'In Salah de freiner le développement futur de l'Algérie en s'opposant à la seule alternative génératrice de revenus et de souveraineté pour le siècle à venir. Plusieurs délégués ont pris la parole, pressant le représentant du gouvernement de se donner un délai de réflexion, d'organiser un débat national, sur la question du gaz de schiste en particulier, et les alternatives énergétiques de l'Algérie en général. Abdelkader Bouhafs, représentant de l'association Shams In Salah, est revenu sur les risques encourus par les riverains des puits schisteux, évoquant particulièrement la peur qui hante les habitants qui gardent en mémoire les séquelles encore visibles des essais nucléaires français dans le Sahara algérien, le site d'In Eker étant à 100 km à peine de la ville, en plein massif de l'Ahaggar. Moratoire «Nous ne sommes pas égoïstes, monsieur le ministre, et encore moins indifférents à l'avenir du pays et des générations futures, nous pourrions l'être, ces ressources sont sous nos pieds, nous n'en profitons pas de toute façon, mais c'est un moratoire que nous vous demandons, comment pouvez-vous être aussi insensible à nos cris de détresse ?» Aucune des deux parties n'est arrivée à convaincre l'autre. La rupture du dialogue a été consommée et en restera là, en attendant sûrement d'autres médiations, peut-être un changement de position du gouvernement, une intervention providentielle du président de la République en personne que les gens d'In Salah espèrent en silence. Cette absence du président Bouteflika, qu'In Salah pensait sensible à ses souffrances, malgré une politique catastrophique à l'égard des villes éloignées du sud du pays, notamment celles faisant partie du Sud utile, celui qui offre sans compter toutes ses richesses à la communauté nationale. Et voilà qu'une région comme In Salah, qui n'a, somme toute, pas demandé plus qu'un arrêt momentané des forages, un délai de réflexion, un moratoire, un débat national responsable et constructif, soit ainsi traitée. Mobilisation La population n'en revient pas. Beaucoup de manifestants espèrent que cette protestation soit suivie d'un effet bénéfique pour tous, les femmes en particulier se sont investies totalement, de la manière la plus complète, en poussant leurs hommes, leurs enfants à résister, à maintenir le pacifisme de cette protestation, à en tirer le meilleur profit. C'est une image d'une ville entière, une population qui frôle les 55 000 habitants, unie conte le gaz de schiste. Et comme pour souligner encore plus et renforcer cette unité, la prière du vendredi a été unifiée. Elle a eu lieu en plein air à la place de la Résistance, où toute la ville s'est déplacée, laissant un peu de place à des groupes venus d'In Ghar, Iguestene et Tamanrasset. Une unité confortée par des marques de sympathie et de soutien plus grand chaque jour. Les rangs des protestataires grossissent de jour en jour à In Salah et les villes environnantes. Jeudi soir, Ouargla, Adrar, El Ménéa, Illizi et Metlili annonçaient pour aujourd'hui des manifestations de soutien à la population d'In Salah. Le gaz de schiste cristallise la lutte pour l'émancipation du sud du pays, la mobilisation des citoyens est là pour le dire.