Simple jacquerie ou début d'un mouvement populaire de grande envergure qui gagne du terrain dans les villes du sud du pays, notamment dans le Hoggar, contre l'intention des pouvoirs publics d'aller vers l'exploitation des gaz de schiste? Les manifestations, qui durent depuis une semaine, ont commencé dans la ville d'In Salah, puis se sont propagées à Tamanrasset, capitale du Hoggar et siège de la wilaya, puis à Adrar dans le Touat. Partout, des centaines de citoyens ont arpenté les ruelles souvent poussiéreuses pour s'opposer à l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels, les gaz et pétrole de schiste. Mardi à Tamanrasset et In Salah, des centaines d'étudiants, de jeunes, des vieillards, organisés en associations ou indépendants, sont sortis dans la rue pour dire «non aux gaz de schiste». Depuis dimanche dernier, des centaines de personnes se rassemblent chaque jour devant les sièges de la daïra d'In Salah et de la wilaya de Tamanrasset pour protester contre «l'extraction des gaz de schiste». Le week-end dernier, des dizaines de personnes avaient bloqué la RN-1, entre jeudi à samedi matin, à une dizaine de kilomètres d'In Salah, sur le tronçon reliant cette ville à celle d'El Goléa, dans la wilaya de Ghardaïa, pour s'opposer au projet d'extraction de gaz de schiste prévu à Ahnet, dans la région d'In Salah. Une folle rumeur, à l'origine de ces manifestations, parfois violentes, circule dans les milieux des gens du Sud qui voudrait que «l'exploitation du gaz de schiste causerait des maladies cancéreuses». Globalement, les revendications des populations d'In Salah et de Tamanrasset portent sur «l'arrêt des opérations d'extraction du gaz de schiste» et «l'envoi d'une commission, conduite par le Premier ministre, pour s'enquérir de la situation du développement dans cette région». A Tamanrasset mardi, plusieurs centaines d'étudiants avaient marché sur le siège de la wilaya en portant des banderoles sur lesquelles étaient inscrits notamment «Les étudiants protestent et réclament l'arrêt du projet», «Non au gaz de schiste». «Cette action de protestation sera poursuivie jusqu'à obtention de la suspension de l'exploitation du gaz de schiste dans la région d'In Salah, en raison des menaces sur l'environnement», estime un étudiant. A In Salah, la «protesta» n'a pas diminué d'intensité en une semaine, avec l'organisation d'un rassemblement de citoyens devant le siège de la daïra, entraînant la paralysie de toute activité dans cette ville, une des plus chaudes du pays. La colère «anti-gaz de schiste» de la population d'In Salah a été telle que le wali de Tamanrasset a été obligé de se déplacer sur place pour discuter avec les manifestants. Une délégation d'experts devait arriver hier mercredi à In Salah pour rencontrer les gens de la région, a-t-on appris de sources locales. Les habitants d'In Salah avaient la semaine dernière demandé l'envoi par le gouvernement de représentants pour les écouter et les rassurer sur l'exploitation du gaz de schiste. Toute cette colère des gens du Sud, une région déjà marquée par une vive exacerbation sociale induite notamment par un chômage chronique, de mauvaises conditions de vie et l'éloignement des grandes régions développées du pays, est apparue juste après la visite du ministre de l'Energie, Youcef Yousfi, dans la région. IMPORTANT POTENTIEL DE GAZ DE SCHISTE Plus exactement au bassin d'Ahnet où a été foré le premier puits de gaz de schiste, à titre expérimental. Le 27 décembre dernier, à Ahnet, il arborait une extrême satisfaction, se réjouissant de l'exploitation du premier forage de gaz de schiste. Dans des déclarations à la presse qui l'accompagnait, ainsi que les ministres des Ressources en eau et de l'Environnement, il a déclaré que «nous assistons au succès de la première opération réelle de l'exploration de gaz de schiste dans le bassin d'Ahnet où nous avons réussi à produire du gaz extrêmement compact situé dans des roches imperméables». Il poursuit: «Ce puits nous laisse envisager la possibilité d'aller de l'avant dans l'exploitation éventuelle de ces ressources gazières non conventionnelles». Lors du dernier Conseil des ministres, M. Yousfi a expliqué dans son bilan des découvertes d'hydrocarbures de l'année 2014 que le premier forage (de gaz de schiste) réalisé dans la région d'Ahnet au sud d'In Salah, a donné des résultats très appréciables. Les explorations menées dans cette région ont conduit les géologues à estimer l'étendue du bassin d'Ahnet à près de 100.000 km2 avec un potentiel récupérable de 7.500 milliards de mètres cubes de gaz schisteux, soit deux fois la capacité du champ de Hassi R'mel. Un second bassin de gaz schisteux a été également localisé à Timimoun, une des grandes régions touristiques du sud du pays, et d'un bassin de pétrole schisteux à Berkine. Sans aller vers un débat national, d'experts, de simples citoyens et d'ONG, les pouvoirs publics ont donné leur feu vert pour l'exploitation et la production des hydrocarbures non conventionnels, dont les gaz (shale gas) et pétrole (shale oil) de schiste. Ce n'est pas tant les deux produits qui font peur à la communauté scientifique et les ONG dans le monde, mais les méthodes de leur extraction, dont la fracturation hydraulique, qui utilise une grande quantité d'eau mélangée à 99% de sable et de 1% de produits chimiques pour fracturer la roche et en extraire le gaz ou le pétrole qui en sont prisonniers. Tout le débat tourne autour de la nature de ces produits chimiques et les quantités phénoménales d'eau utilisée.