Quatre manifestants s'ajoutent à la liste des 32 déjà poursuivis pour avoir manifesté contre le 4e mandat de Abdelaziz Bouteflika à Bouira en avril 2014. Les jugements prononcés atteignent jusqu'à deux ans de prison ferme. Les habitants de Haïzer et leur P/APC se disent «solidaires». «Lors des émeutes qui se sont déclenchées à Haïzer (Bouira), le jour de l'élection présidentielle, un policier m'a pourchassé en braquant son arme contre moi. J'ai échappé à la mort de justesse. Et franchement, j'ai cru que je ne reverrai plus la lumière du jour», se rappelle avec amertume Ali, étudiant et militant du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Le 17 avril 2014, Haïzer, cette commune située à 10 km à l'est de Bouira, s'est transformée en champ de bataille. Les heurts ont duré toute la journée. Bilan : quelques blessés et 14 manifestants interpellés, puis libérés le lendemain. Azeddine Nedjaâ, 25 ans, raconte ce jour d'émeutes : «Les forces de l'ordre m'ont traqué jusqu'au 5e étage et m'ont rattrapé devant la porte de chez moi. Ils m'ont passé à tabac.» Six mois plus tard, 32 manifestants ont fait l'objet d'une poursuite judiciaire. Accusés «d'attroupement illégal, d'outrage à corps constitués, d'obstruction aux bureaux de vote, de blocage d'une voie publique et de destruction des biens d'autrui», ils ont écopé de peines allant de deux ans de prison ferme à deux mois de prison avec sursis, selon leurs avocats. En signe de solidarité, plusieurs rassemblements ont été organisés par le comité de soutien, constitué d'associations locales et autres mouvements structurés, devant le tribunal de Bouira. Mi-novembre, huit manifestants ont été embarqués, lors de l'un de ces rassemblements, par la police. Quatre d'entre eux, militants du RCD, ont été poursuivis pour attroupement non armé. Leur jugement, prévu pour le 28 décembre, a été reporté au 25 janvier. CD-Rom Au siège régional du RCD à Bouira, Amine Limam, cadre d'entreprise, tente d'expliquer, en présence de militants, avocats et amis des accusés, les raisons de la poursuite : «Lors de leur audience avec le juge d'instruction, les quatre accusés ont avoué qu'ils n'ont fait que répondre à l'appel de solidarité lancé par le parti. Ils ont donc complètement assumé leur geste, ce qui leur a valu cette poursuite.» Le RCD, qui compte plusieurs militants parmi les accusés des deux affaires, a engagé un collectif d'avocats. Me Ouahab Limam en fait partie. Dans une main, l'avocat tient le dossier juridique des manifestants et de l'autre, il essaie de se réchauffer auprès d'un radiateur à bain d'huile. «Les accusations infligées aux manifestants n'ont aucun fondement. Ce sont les policiers qui n'ont pas respecté la loi en procédant à des arrestations arbitraires sans aucune preuve, affirme-t-il. Seul un CD contenant des images filmées par des agents de renseignements pourrait constituer l'unique élément de preuve. Mais il ne nous a jamais été exposé, car il a été réalisé sans l'aval du procureur de la République.» Au centre-ville de Bouira, le froid n'empêche pas les gens de s'installer sur les terrasses de l'arrêt Harkat. Entre le bruit des voitures et celui des bus publics qui stationnent à côté, Saïd Nedjaâ, 29 ans, titulaire d'une licence en économie, l'un des accusés, il tente de finir rapidement son café avant de rebrousser chemin vers Haïzer. Ce fervent militant du RCD a écopé de six mois de prison avec sursis. Il soulève ses sourcils, scrute le mont Djurdjura couvert de neige et lâche en souriant : «Leur jugement est plus froid que celui qui nous arrive de Tikjda.» Il ajoute : «Le peuple algérien a refusé une élection présidentielle que le pouvoir a utilisée pour nous imposer un homme illégitime et malade à la tête de toute une nation. Nous ne voulions pas d'une reconduction d'un système corrompu, mafieux et despotique.» Opposition C'est tout un élan de solidarité qui s'est créé autour de cette affaire. Ici, le président de l'Assemblée communale d'obédience RCD, le Collectif de soutien et les habitants de cette ville se disent tous solidaires. A Haïzer, cette ville cernée par le massif du Djurdjura et le barrage de Tilesdit, les gens rencontrés font endosser la responsabilité à la police et aux forces de l'ordre qu'ils qualifient de «provocateurs» et accusent l'Etat de vouloir «étouffer» l'opposition. «Ce sont des attaques systématiques organisées premièrement contre le RCD qui a boycotté le scrutin, puis contre les activistes et le tissu associatif qui ne cesse de grandir dans cette localité, dénonce Hamid Hamedouche, 21 ans, jeune entrepreneur dans l'aluminium, l'un des accusés. Pour les policiers, nous sommes le groupe de “Koreïch“. Moi, je ne cesse de leur répéter que ce n'est pas nous qui avons assassiné Boudiaf !» C'est au niveau de la cafétéria adossée au club de natation que l'un des membres du comité de soutien, Kaci Bougara, 19 ans, appelé El Politik, rejoint Saïd, locomotive du mouvement anti-quatrième mandat, qui était accompagné par Ami Moh, un septuagénaire, qui se décrit comme «le premier opposant» au système ! «Je ne pense qu'à mes vaches qui m'ont été volées par des terroristes qui ont été tous acquittés par le tribunal de Tizi Ouzou (durant la décennie noire, ndlr). Bravo à la justice algérienne ! Moi, je reste solidaire avec ces jeunes résistants», marmonne-t-il. Kaci rebondit sur le sujet : «Ce n'était pas un quelconque mouvement. Le pouvoir s'est attaqué à des universitaires et à des gens engagés. L'objectif était de casser notre dynamique et de nous affaiblir.» Provocation Meziane Chaâbane, président de l'Assemblée communale de Haïzer, dément, quant à lui, toutes les accusations portées contre les manifestants : «Il n'y a pas eu de dégâts matériels, ce que j'ai moi-même expliqué au wali de Bouira, affirme le P/APC. Mes concitoyens ont tout à fait le droit de s'exprimer politiquement et en toute liberté. Je considère la poursuite en question comme une provocation.» Rencontré dans une cafétéria en face du siège de la commune de Haïzer, Mahmoud Nedjimi, 34 ans, titulaire d'une licence en sociologie et membre du comité de soutien, explique la situation socioéconomique des jeunes de sa région : «Nous continuons à être les témoins de notre misère pendant que nos richesses font le bonheur de la bourgeoisie occidentale, s'indigne-t-il. Jusqu'à quand allons-nous continuer à revendiquer les mêmes réclamations, comme le droit au travail ?» Ali Amzal, 24 ans, étudiant en tamazight, est doublement poursuivi en justice. Rencontré à l'entrée de la maison des jeunes Nedjaâ Hamimi, il raconte son cas assez particulier. RCD Ali a d'abord été jugé dans l'affaire des 32 manifestants et devrait comparaître dans l'affaire des quatre autres pour avoir participé à un rassemblement de solidarité (envers lui notamment) : «Nous ne nous sommes pas soulevés contre le quatrième mandat seulement, mais aussi contre tout le système politique, insiste-t-il. Ici, nous sommes étouffés par la présence policière que le pouvoir utilise pour nous assiéger. Et si elle s'attaque à nous, c'est parce que nous la dérangeons.» Alors que des émeutes se sont déclenchées dans plusieurs régions du pays, les manifestants de Haïzer restent les seuls à être inquiétés par la justice. Certains habitants tentent d'expliquer l'énigme : «Pendant les élections municipales, nous avons empêché les militaires de voter, argumente un habitant. Ils ne connaissent ni les candidats ni la réalité de notre commune. De plus, ils votent généralement au profit des partis du pouvoir. Alors pourquoi participeraient pour décider de notre avenir ?» Yennayer La chaleur du club de natation fait oublier le froid de l'extérieur. C'est ici que travaille, sous contrat, Hacène Benghaneme, 32 ans, l'un des 32 accusés, qui avance une autre thèse. Titulaire d'une licence en droit juridique, il s'est reconverti à la natation pour gagner sa vie. Il attend toujours sa titularisation et, entre-temps, il assure la formation d'une quarantaine d'enfants retrouvés sur place. «Après le meeting des boycotteurs tenu ici par le RCD, la wilaya nous a annoncé la visite du ministre de l'Agriculture que nous avons refusé de rencontrer. Effectivement, la visite n'a pas eu lieu, ce qui a provoqué la colère du wali», explique-t-il. A l'approche de Yennayer, les associations comme Zougaghen, Thinithran ou même l'association sportive Thaliwin, qui ont constitué, avec d'autres, le comité de soutien,ont déjà la tête au nouvel an berbère. Nadjib Nedjadi et Ahmed Rezine, les présidents des deux premières, travaillent d'arrache-pied pour réussir l'événement. Au programme : débats, activités artistiques, historiques et sportives. Même ceux poursuivis en justice y participent. Au niveau de la maison de jeunes, les chants des chorales des fillettes de l'association Thinithran résonnent. Tout le monde en profite avant de reprendre la mobilisation le 25 janvier pour le procès des quatre militants du RCD, et le 29 janvier, pour le nouveau procès en opposition au jugement par contumace des accusés ayant écopé des peines de prison ferme. En attendant son procès et celui de tous les sursitaires, prévu pour le 5 février, Saïd appelle à garder le cap de la mobilisation.