Très controversé par les experts, le mode de calcul des chiffres de l'emploi utilisé par l'Office national des statistiques (ONS) conduit à des chiffres en total déphasage avec les réalités empiriques du pays. Il suffit de se promener dans nos villes et villages, pratiquement tous touchés par le chômage, pour constater à quel point le nombre de personnes totalement désœuvrées ou versées dans des activités informelles est élevé et en totale contradiction avec le chiffre «politiquement correct» de 10,8%, récemment affiché par l'ONS. Les manifestations récurrentes de chômeurs en quête d'emploi, les dizaines de milliers de diplômés de l'enseignement supérieur, qui ne trouvent pas d'embauche et toutes ces franges de la population qui quittent d'une manière ou d'une autre le pays à la recherche d'un travail, rendent encore moins crédibles les résultats de l'ONS, qui veut rapprocher, mais sans toutefois convaincre, l'Algérie des performances d'emploi des pays développés. Sur le terrain, la situation est, en effet, toute autre. L'industrie et l'agriculture en crise peinent à offrir suffisamment d'emplois aux personnes en âge de travailler, que la démographie, encore très prospère, alimente et que les rejets du système scolaire (environ 400 000 par an) exacerbent. Les activités de services, certes en plein essor grâce notamment aux financements de l'Ansej et au développement de l'informatique, n'absorbent qu'une infime partie des demandes d'emploi. Les entreprises étatiques et la Fonction publique, largement saturées par les recrutements de ces dix dernières années, n'ont plus grand-chose à offrir aux jeunes en quête de travail. Pour ne pas compliquer la donne, nous éviterons d'évoquer les problèmes de sureffectifs qui les affectent, notamment depuis que le gouvernement les a contraintes à recruter à tour de bras pour calmer un front social en ébullition. Les observateurs de la scène économique algérienne estiment à environ 400 000 les effectifs pléthoriques qui encombrent les entreprises et la Fonction publique. Dans le mode de calcul de l'ONS, il est par ailleurs étonnant de constater l'exclusion des statistiques du chômage de millions de femmes et de primo demandeurs en âge de travailler, qui ne se sont pas déclarés aux instances de recensement concernées. Faute de dispositif d'allocation chômage qui les auraient incités à s'y inscrire, une importante frange de ces demandeurs potentiels d'emploi ne prend même pas la peine de se déclarer, et ce n'est qu'à l'occasion de l'ouverture d'une usine que l'on prend conscience, à travers le grand nombre de chômeurs non déclarés qui se bousculent à son portillon, de l'ampleur du chômage dans la localité concernée. Il est également utile de savoir que l'ONS considère comme non-chômeur toute personne ayant travaillé, ne serait-ce qu'un jour dans l'année ainsi que les saisonniers et les personnes ayant bénéficié de contrats de préemploi ou du filet social. Les statistiques de l'emploi sont ainsi exagérément gonflées et celles du chômage amoindries. Il est également intéressant, mais surtout étonnant, de constater que l'ONS ne prend en compte les femmes en attente d'un travail que dans la mesure où ces dernières font une demande expresse à l'administration concernée. A l'exception de celles qui font commerce de produits réalisés dans leur domicile, des millions de femmes au foyer ne sont pas recensées comme chômeurs potentiels, alors qu'elles constituent un important vivier de demandeuses d'emploi. Les experts estiment ainsi à environ 70% le nombre de demandeuses d'emploi non recensées, du fait de ce très contestable mode d'évaluation de l'emploi, qui ne prend pas en considération l'élément féminin et les demandeurs potentiels qui ne se déclarent pas. Il n'est par conséquent pas étonnant qu'entre les statistiques de l'ONS et la réalité du terrain, existe un grand fossé que l'ampleur du marché informel et le nombre très élevé de désœuvrés mettent clairement en évidence. Les deux à trois millions de travailleurs qui travaillent dans les activités clandestines ne le font certainement pas de gaieté de cœur, mais parce qu'ils n'ont pas réussi à dénicher dans leur pays, frappé par une désertification industrielle et agricole sans précédent, l'emploi souhaité. Il est toutefois utile de signaler que les gains substantiels et faciles que procure le commerce informel incitent bien souvent les personnes concernées à s'y installer durablement, refusant de chercher un emploi dans les entreprises et les administrations publiques qui ne peuvent offrir que des salaires dérisoires. Mais comme le relatent de nombreuses associations, ce ne sont pas seulement les demandeurs d'emploi ordinaires qui pâtissent du chômage, mais aussi les universitaires, dont une bonne partie cherche à trouver solution dans l'exil.