Le ministre des Affaires religieuses, Mohamed Aïssa, fait l'objet de tirs groupés. Lui, qui campait jusque-là le rôle de coqueluche du gouvernement à la tête d'un «secteur» qui ne sied pourtant pas à la coquetterie médiatique, agace ses pourfendeurs. Mine de rien, le ministre est passé du statut d'ange à celui de démon. Pourtant, son pedigree religieux, qui s'écarte des extrêmes de tout poil, fait de lui l'homme qu'il faut à la place qu'il faut. Ne voilà-t-il pas qu'il est aujourd'hui vertement sermonné par certains chouyoukh par médias interposés, qui l'invitent à ne pas fourrer son nez dans les affaires… religieuses ! Le nouvel épisode insipide de Charlie Hebdo et les débats passionnés qu'il a charriés ont servi de tribune aux uns et aux autres pour remonter les bretelles à un ministre décidément pas très à l'aise dans le qamis où l'on voudrait l'enfermer. Son péché ? Avoir critiqué les propos de certains «chouyoukh» cathodiques, trop protestants à son goût, s'agissant de la conduite à tenir face à la réédition des dessins provocateurs de Charlie Hebdo. Du haut de son statut de ministre de la République, Mohamed Aïssa est lynché. On lui intime presque l'ordre de se taire et de ne pas s'occuper des choses qui ne le «regardent pas». Le contenu du discours religieux distillé sur les plateaux télé ne le regarde-t-il pas ? Vraiment ? Drôle de «fatwa» contre un ministre censé appliquer à la lettre les directives du président de la République en matière de pratique religieuse. Il a, en effet, le droit, et surtout le devoir, de veiller à la conformité du discours religieux décliné dans les mosquées et autres institutions culturelles et cultuelles à la référence algérienne, c'est-à-dire le rite malékite. Cordoue, si loin de Riyad C'est apparemment cette prérogative précise qui incommode ceux qui lui jettent des peaux de banane. Mohamed Aïssa a clairement pointé ces «chouyoukh», qui professent un salafisme aux accents djihadistes qui a fait des ravages en Algérie. Il ne souhaite pas que l'Algérie retourne dans le long tunnel noir dont elle avait du mal à en sortir. En invitant les chaînes de télévision privées à faire attention à ces «imams» qui paradent sur leurs plateaux, Mohamed Aïssa n'a sans doute pas voulu leur dicter sa loi. Il leur a juste rappelé que les plaies de la tragédie nationale provoquée par le discours extrémiste ne sont pas encore cicatrisées. A-t-il alors montré ou dépassé la ligne rouge ? Mohamed Aïssa est certainement mieux outillé pour se défendre, mais on doit reconnaître que sa façon de gérer ce ministère ultra sensible tranche (au sens positif s'entend) radicalement avec celles de ces prédécesseurs. Il est par contre sûr que sa perception de la pratique religieuse en Algérie ne trouve pas grâce aux yeux de certains milieux, qui ont un tropisme oriental, voire saoudien. Mohamed Aïssa, qui répète à l'envi sa nostalgie de l'islam des lumières de Cordoue et qui prêche la modération, se trouve en porte-à-faux avec les apôtres algériens de Mohammad Ibn Abdul Wahab. Cordoue étant en l'occurrence très loin de Riyad, on mesure mieux la distance idéologique entre le ministre et ces chouyoukh qui l'invitent à revenir dans le «droit chemin». Celui du fanatisme et de l'extrémisme qui a fait tant de dégâts en Algérie. En planchant sur le contrôle rigoureux des associations religieuses avant leur agrément et l'institution d'un conseil scientifique de la fatwa, le ministre des Affaires religieuses savait qu'il allait évoluer sur un terrain miné. Mais il est convaincu que c'était le minimum à faire pour tirer le tapis sous les pieds de ceux qui abusent de la foi et de la sensibilité des Algériens.