Au coup d'envoi de l'agression contre le Liban, l'opinion publique israélienne s'était rangée derrière les arguments de l'état-major qui avait fait de l'anéantissement du Hezbollah un mot d'ordre auquel s'étaient ralliés des partisans de la paix. Des générations d'Israéliens ont grandi dans cette croyance en la guerre nécessaire contre l'ennemi féroce et irréductible, dont le seul objectif est la destruction de l'Etat hébreu. Israël a instrumentalisé cet antagonisme dès les premiers jours de sa création, l'élevant au rang de dogme. Il lui suffisait pour cela de s'appuyer sur les textes fondateurs de la résistance palestinienne. Il lui fallait pourtant prendre compte du fait que l'histoire en train de se faire n'est pas une séquence définitivement figée, et la meilleure preuve en est que des Palestiniens et des Israéliens ont cru sincèrement que la paix était possible entre les deux peuples. David Grossman est de ceux-là. Il vient de perdre son fils, tué lors de l'offensive israélienne contre le Liban. Uri Grossman avait, en soldat discipliné, accepté de faire cette guerre d'agression. Ce ne fut pas le cas de nombreux jeunes Israéliens qui ont choisi d'être insoumis ou objecteurs de conscience. Nombre d'entre eux ne croyaient ni à l'utilité ni à la justesse de cette offensive. Même sur le champ de bataille, des militaires israéliens avaient émis le vœu que la guerre cesse. L'état-major israélien avait persuadé ses soldats que cette agression contre le Liban serait une promenade de santé. Sur le front, ces soldats ont vu leurs camarades tomber au combat et la campagne s'enliser dans la durée sans que pour autant les objectifs militaires assignés ne soient atteints. L'opinion publique israélienne perçoit la cessation des hostilités comme une défaite. Il faudra en rechercher les responsables, et c'est le chef d'état-major qui a conduit l'offensive, le général Dan Haloutz, qui est sur la sellette. Il est probable que cet officier supérieur, issu de l'aviation israélienne, soit limogé en dépit du soutien que lui assure le ministre de la Défense. Haloutz mis à l'écart, cela voudra dire que le gouvernement l'offre en victime expiatoire à une opinion traumatisée par l'échec de son armée et qui voit que cette campagne n'a surtout pas aidé à libérer les deux soldats enlevés par le Hezbollah libanais, ce sur quoi s'était appuyé l'état-major israélien pour lancer son offensive. Israël paye au prix fort cette campagne désastreuse. Son effort de guerre lui a coûté 5,7 milliards de dollars. C'est considérable, mais aux yeux des Israéliens, ce n'est rien en comparaison avec le nombre de soldats tombés au Sud-Liban. Le limogeage éventuel de Dan Haloutz ne rendra pas à David Grossman son fils Uri. Pas plus que ne reviendront à la vie les enfants martyrs de Qana. De cette hécatombe, Israël est responsable et il ne faut certes pas s'étonner d'y voir le reflux d'une lame de fond. L'opinion publique était divisée sur la nécessité de la guerre, elle est ébranlée par ses résultats et par leur caractère inédit. Cela amènera-t-il l'Etat israélien à faire cet « examen de conscience » qu'attend de lui un partisan de la paix comme David Grossman ? L'agression contre le Liban a mis à l'épreuve le thème du droit à l'autodéfense, dont s'est toujours prévalu Israël. Elle crée une fracture dans une opinion qui s'éveille brutalement aux limites d'une stratégie guerrière qui ne règle pas le vieux contentieux israélo-arabe, mais risque de l'approfondir. Cette offensive israélienne consacre dans le même temps la faillite du militarisme outrancier sur lequel Israël fonde ses rapports aux autres peuples de la région. Après le tumulte de la guerre, ceux qui parlent de paix, de part et d'autre des frontières, seront-ils voués à prêcher dans le désert ?