Le 26 juillet 1956, à presque un mois avant le congrès de la Soummam, le village Tala Ouaghras (douar Ait Amrouyoub) a été le théâtre d'une féroce bataille entre un groupe de Moudjahidine de l'ALN et les forces de la colonisation. En représailles, l'armée française a pilonné, durant des jours, toute la région, la plongeant dans une grande désolation. Plusieurs habitations ont été détruites et les cultures fruitières et maraîchères, seule source de subsistance des populations du douar, ont été livrées au déluge de feu de l'aviation française. Non satisfaite de son forfait, l'armée coloniale décréta tout le douar d'Ait Amrouyoub comme zone interdite. Jetés sur les routes de l'exode, les habitants du douar s'installèrent qui à El-Kseur, qui à Amizour, qui à Lmerdj Bwamane ou à Béjaïa et vécurent ce déracinement comme un pesant fardeau dont ils espéraient se soulager le plus rapidement possible. A peine l'indépendance acquise, les villageois encore vivants regagnèrent leurs villages respectifs, pensant refaire paisiblement leur vie sur leur terre ancestrale. Cependant diverses contraintes rendaient vulnérables les villageois et hypothéquaient l'avenir de leurs enfants. Les insuffisances se conjuguaient au pluriel. Ni école, ni électricité, ni centre de santé, encore moins de routes carrossables. Rien ne contribuait au maintien sur place des populations. Avec l'accroissement des besoins, les lopins de terre cultivés ne suffisaient plus à satisfaire les familles. 15 ans ont passé depuis l'indépendance, les Ait Amrouyoub sont contraints encore une fois à fuir leur douar. On quittait encore à contre cœur les lieux vers des centres urbains plus accueillants. Le douar retomba encore une fois dans la désolation et le silence. Vers les hauteurs d'Ait Amrouyoub Sous un ciel gris et un temps glacial, nous prenons, un vendredi de ce mois de janvier, depuis Tala Hamza, le chemin vers les hauteurs des Ait Amrouyoub, répondant ainsi à l'invitation de l'association socioculturelle qui porte le nom du douar. Les dernières pluies ont rendu la seule piste qui donne accès au douar quasi-inaccessible. Le trajet s'est transformé en épreuve de patinage. Les véhicules avançaient difficilement. Les roues cahotent, crissent, s'embourbent, patinent. Contraints parfois à l'immobilisation, les véhicules ne repartaient qu'après moult manœuvres. De temps en temps des branches de bruyère, d'arbousiers et d'autres arbustes sont jetées sous les roues des véhicules pour leur permettre de repartir de nouveau. Les villages et les hameaux qu'on traversait laissaient voir un aspect de rusticité, de dépouillement et de ruine. Il n'y a pas d'âme qui vive. Les quelques maisons et hameaux encore debout qui s'offrent aux regards respirent un air d'avant l'indépendance du pays. Rien n'indique que quelque chose a changé depuis les années cinquante. A croire que le temps s'est immobilisé dans les lieux. Le douar est entièrement déserté. Depuis sa création en 1997, l'association socioculturelle Ait Amrouyoub de la commune d'Amizour tente de redonner vie à la région en initiant diverses actions visant au repeuplement du douar. «Nous ambitionnons de réhabiliter cette zone historique, revitaliser ce douar, permettre aux populations de réoccuper leur terre, mais les autorités locales sont apparemment insensibles à nos efforts et doléances. En théorie, on encourage les citoyens à se fixer dans leur région, mais en pratique, c'est tout le contraire ! Et nous savons de quoi nous parlons, les autorités ne font strictement rien pour accompagner notre retour sur nos terres» déclare à El Watan Kherraz Rabah, le président de l'association. «Cadastrophique !» Classée comme zone cadastrée inconnue, lors de la derrière opération cadastrale, à l'insu de la population, le douar fait face à un singulier embrouillamini administratif. Ne pouvant ainsi obtenir ni de certificats de possession encore moins d'actes de propriété, les habitants du douar se retrouvent ainsi exclus de tous les dispositifs d'aide à l'habitat rural. Corsant davantage la situation, la désignation d'Amizour comme commune à caractère urbain exclut de fait les populations des régions des avantages des PPDRI. «Nous avons certes planté, dans le cadre du projet à initiative local (PIL), quelque 30 hectares d'oliviers, mais c'est insignifiant au vu des insuffisances et des carences de toutes sortes qui caractérisent notre douar» indique Ouaret Mohand Saddek, l'un des membres du comité des sages de la région. Ne pouvant prétendre ni au FONAL, ni initier des PPDRI, ni produire des certificats de possession, les habitants du douar se retrouvent face à un dilemme cornélien qui les irrite sérieusement. «Tout le monde est au courant de l'injustice dont sont victimes les enfants du douar, mais, en toute vraisemblance, on s'en fout comme d'une guigne. C'est tout simplement cadastrophique !» ironise un enseignant.