L'Algérie peut-elle effectivement lutter contre la drogue ? Car s'il est vrai que les autorités s'inquiètent et tentent d'agir contre ce fléau à coups de saisies record de drogue, il n'en demeure pas moins que sortir d'une telle dépendance n'est pas chose aisée en Algérie. Et pour cause : la prise en charge et les soins de désintoxication sont quasi inexistants. Il n'y a, par exemple, pas de spécialisation et de diplôme en addictologie, qui puissent s'occuper de manière exhaustive de ces cas», a déploré le professeur Mahmoud Ould Taleb, lors d'une conférence sur les drogues et la toxicomanie, organisée hier par le Forem. Ce chef de service de pédopsychiatrie à l'EHS Drid Hocine, qui a étudié pendant près de 20 ans la toxicomanie, dresse un sombre tableau de la situation. Car rares sont les structures à même de soigner les personnes présentant une grave addiction à une drogue, quelle qu'elle soit. «Il n'y a, sur tout le territoire national, que deux unités de soins. Un service à Blida, qui ne dispose que de 40 lits mais a vocation nationale, tandis que l'autre unité se trouve à Oran», énumère-t-il. Des centres intermédiaires de santé mentale ont, il est vrai, été ouverts pour les toxicomanes. «Il n'y en a toutefois que cinq qui sont vraiment opérationnels dans la wilaya d'Alger. D'autant que ces centres n'effectuent que les consultations et le dépistage, après quoi ils évacuent les patients vers Blida», ajoute le Pr Ould Taleb. D'autant que, de l'aveu du professeur, les toxicomanes algériens sont «compliqués à soigner» car ils sont de plus en plus des «polytoxicomanes». «Cela représente le passage d'une drogue à une autre en guise de substitut. D'où la difficulté de les soigner, car il faut autant de programmes que de drogues ingérées. On ne sait donc plus comment les soigner efficacement», déplore-t-il. Le curatif en place du répressif Des dispositifs qu'il est urgent de renforcer si l'on veut sauver des petits consommateurs, mais aussi et surtout éviter le «durcissement» de l'addiction de milliers d'usagers. «De nombreuses failles demeurent dans les articles de loi. Comme en ce qui concerne les soins, le manque de centres, l'obligation de suivi ou encore le contrôle des pharmacies», estime d'ailleurs le Dr Fawzi Oussedik, juriste. Et d'autant plus si l'on veut aller vers l'injonction thérapeutique qui pourrait briser le cercle vicieux dans lequel se retrouvent plongés de trop nombreux jeunes «délinquants». «Il y a lieu de changer d'approche. Sans aller jusqu'à parler de légalisation ou de décriminalisation, il faut appréhender le statut du toxicomane sous l'angle curatif et non plus sous l'angle répressif», plaide le Pr Ould Taleb. «Lorsque vous passez une journée dans un tribunal, vous vous rendez compte que 80% des affaires qui passent en correctionnelle concernent la drogue. Ce sont des jeunes gens, qui ont consommé de petites quantités de stupéfiants et sont condamnés à des peines de prison», s'attriste-t-il. Des lieux hautement «criminogènes», selon lui, ce qui ne fait qu'aggraver la consommation de stupéfiants. Ce qui pourrait être évité en optant pour ce contrat thérapeutique qu'est l'injonction de soins, et ce, en sus d'une réelle prise en charge et d'un suivi.